Dire d’emblée qui est coupable est toujours un peu casse-gueule. C’est pourtant le parti pris de Morgan Greene pour ce thriller, « Tous des Animaux ». Audace ultra payante pour ce Gallois d’origine, et qui vit désormais au Canada.
Ils sont donc trois assassins. Nicholas Pips, Peter Sachs et Emmy Nailer. Le trio est attablé au Main Street Diner qui leur servira d’alibi plus tard, quand la police viendra les questionner. C’était il y a dix ans, à Savage Ridge, 5000 âmes au compteur. Les trois jeunes gens avaient fait disparaître de la surface de la terre un bien méchant garçon : Sammy Saint John, fils du non moins horrible personnage, Thomas Saint John, sorte de seigneur local fouettant ces cerfs s’il avait pu en avoir l’occasion. Pour l’heure, il se contente de régner sur la ville avec les moyens de l’époque. Dollars, avocats, force de l’ordre dans sa poche et exploitation de l’homme par… lui-même. Le flic Barry Poplar en sait quelque chose, lui qui accourt dès que son maître siffle. Et c’est exactement ce qu’il fait lorsque le propriétaire de cette lugubre demeure l’appelle. « Je veux qu’on procède à leur arrestation immédiatement », dit-il, au shérif médusé.
Des trois criminels, un seul prend la parole tout au long du roman : Nicholas Pips. Il est au cœur du drame. Il est celui qui a porté le coup fatal. Les autres personnages qui donnent leur point de vue sont les trois représentants de l’ordre : le shérif Poplar, la policière de l’État de Washington, Lillian Dempsey, et la détective privée Sloane Yo. Du côté de la victime, seuls le père et le frère Ellison Saint John auront l’honneur de figurer dans des chapitres qui s’articulent d’une manière chronologique : avant et maintenant. Ce qui contribue à la réussite indéniable du récit.
Le père de la victime est suffisamment tordu pour faire appel à l’extérieur, accordant peu de crédit aux autorités locales à l’exception de Baumont, l’adjoint de Poplar. Tordu parce que bizarrement Thomas Saint John ne fait rien pour soutenir une aide qu’il a pourtant lui-même réclamée à grands cris. Lillian Dempsey est la première à s’en apercevoir. Elle pensait emballer l’enquête en 3 jours, elle fichera le camp au bout de quinze pour ensuite disparaître de la circulation.
La deuxième enquêtrice est gratinée. Ancienne un peu tout, tox, alcool, Sloane Yo se soigne en se faisant le plus de mal possible dès qu’elle sent le manque la faire saliver. Dix-ans se sont écoulées. Le père est maintenant un légume, Ellison le fils a repris le flambeau de la recherche des coupables. C’est lui qui a demandé à Sloane Yo de se reprendre le dossier de fond en comble. Début en fanfare pour la détective qui réussit un tour de force : faire revenir, dix ans après les faits, les trois jeunes gens à Savage Ridge alors qu’ils s’étaient jurés de ne jamais y remettre un pied. Il faut dire qu’elle est redoutable la punkette, ancienne flic, virée des services, mère indigne en quête d’une rédemption que cette enquête pourrait peut-être lui apporter. Encore faut-il que cet Ellison joue franc jeu. Mais elle le sent dans ses tripes, le mec le lui fait à l’envers.
Des chasseurs devenus proies. Les années n’ont servi à rien. Les chasseurs n’ont rien oublié et ils se sont transformés en agneaux. Emmy est le maillon faible. Peter qui était un pleutre est devenu dangereux. Et Pips dans tout ça ? Quel homme est-il aujourd’hui ? Sloane Yo comme Lillian Dempsey comprend que la résolution de l’affaire réside dans le passé caché de Sammy. Un sale môme protégé par un père obsédé par la réputation accolée à son nom. Quel est ce secret protégé par une armada d’avocats ? Ce n’est pas le sens de la justice qui étouffe Thomas Saint John. Ce qu’il cherche est à la portée des hommes véreux. Il y en a toujours. Il en a eu la preuve toute sa vie. Pourtant, il se trompe. Avec un final déjouant tous les pronostics, Morgan Greene signe un super bon page-turner.
« Tous des Animaux » de Morgan Greene, traduit de l’anglais par Nathalie Peronny, Éditions Sonatine, 416 pages, 23 euros.