C’est un conte où l’on carbure à l’émotion. Sans retenue. En mode montagnes russes et à plein régime. Le rythme est infernal. Au terme de 800 pages, Chris Whitaker nous achève avec cette histoire intense et des personnages incandescents. « Toutes les nuances de la nuit » s’étend sur trente longues années faites de multiples rebondissements. Un superbe roman qui ne cesse de prendre le lecteur à contre-pied.
Le héros s’appelle Patch Macauley et porte un cache-œil. L’héroïne, Saint, est surnommée « l’apicultrice » parce qu’elle cultive les abeilles. Patch en anglais signifie correction, réparation. Un prénom lourd de sens. Ces deux-là vont se rencontrer dans l’enfance. Chacun à leur façon détonnent à Monta Clare, petite bourgade humide des Monts Ozark du Missouri. Eux-mêmes ont leurs différences. Elles deviendront complémentaires. La ville se niche au creux d’une vallée et se prolonge à flanc de montagne. Tout le monde se connaît, tout le monde s’épie. Mais c’est Patch, 13 ans, qui le voit. L’agresseur, celui qui s’en prend à Misty Meyer, l’adolescente la plus populaire du lycée. Il la sauve. Puis il disparaît à son tour. Saint alerte la police. L’inspecteur Nix se montre sceptique, mou, condescendant. Alors, elle enquête toute seule, elle mettra plus d’un an mais elle le sauvera. La première de mille fois. Ce sera donc leur histoire. Celle d’une amitié hors norme, envers et contre tout. Avec Chris Whitaker, on sera constamment dans la dynamique de la bascule.
Sauver Misty puis être lui-même séquestré marquent les actes fondateurs de la destinée de Patch. Lorsqu’il est enfermé, une fille que ce dernier ne voit jamais, lui murmure à l’oreille dans une obscurité grinçante. Quand il est enfin délivré, il n’aura de cesse de la chercher. Elle aura été sa planche de sauvetage à l’intérieur, elle sera son enfer à l’extérieur. Obsédé par l’idée de la retrouver afin de l’arracher des griffes de celui qu’il croît être le même agresseur, Patch suivra la piste de disparues dans tout le pays, pendant des années. Il ira même jusqu’à braquer des banques pour financer son road trip et donner le reste des butins aux associations de personnes manquantes. « Il cherchait une fille dont il ignorait tout, qui venait d’un passé si lointain qu’il ne rencontrait que des désespérés ». Il savait juste ce qu’elle lui avait soufflé. Qu’elle s’appelait « Grace ».
Chaque personnage ne vit que par et pour son obsession. Une ombre entêtante, paralysante. Ils sont tous prisonniers de leurs blessures. Ils avancent avec peine, reculent souvent, bifurquent, se perdent. Mais Patch aura une fille. Elle incarnera l’ultime réparation, la rédemption et l’avenir. Chris Whitaker signe un roman où toutes les nuances de l’existence se noient dans une vie qui glisse entre les mains de ses protagonistes. Une épopée, un western moderne d’un romanesque subtil où loyauté et vérité sont les compas dans un univers déboussolé. Une réussite.
« Toutes les nuances de la nuit » de Chris Whitaker, traduit de l’anglais par Cindy Colin-Kapen, Éditions Sonatine, 816 pages, 25.90 euros.