« Une tombe pour deux » de Ron Rash : la magie de l’écrivain américain opère toujours

Il existe deux fronts dans le dernier roman de Ron Rash. Celui de la Corée et celui de la famille du soldat, là-bas en Caroline du Nord. Deux façons susceptibles de mourir. La première sanglante, la seconde diffuse, invisible mais tout aussi définitive. « Une tombe pour deux » est un drame à double détente où, au nom de l’amour, une machination de bas instinct se met en mouvement afin de satisfaire un égoïsme sans borne.

Au nom de l’amour donc, Jacob Hampton épouse Naomi Clarke en cachette. Au nom de cette même chose évanescente, Daniel et Cora les parents leur fils unique Jacob (le seul qui reste dans une fratrie de trois) vont mentir. D’une façon éhontée. Le roman s’ouvre ainsi sur une rivière. Elle sépare Jacob de son ennemi nord-coréen. Il sait qu’il doit s’en sortir vivant parce que dans deux mois, Naomi mettra au monde leur enfant. Il a dix-sept ans, elle en a 16. Elle vient du Tennessee voisin. Elle est jolie comme un cœur. Avant de partir à la guerre, Jacob l’a confié à son meilleur ami, Blackburn, le gardien du cimetière.

Puis vient le télégramme du ministère de la guerre. Cora ne peut l’ouvrir seule, elle attend Daniel. Ce sera la cuisine. C’est dans cette pièce que tout se décide. Grièvement blessé. Mais pas mort. Les parents respirent, conspirent. Cora a toujours été la plus intelligente. Pas question de dire à Naomi que Jacob est vivant. Le couple donne de l’argent au père et s’assure qu’ils n’entendront plus jamais parler d’elle. Ils n’auront pas leur fils, ils n’auront pas leurs biens. Le mensonge est consommé. Aux yeux du monde, la jeune femme est morte. Jacob est rentré. Ses parents sont revenus sur leur décision de l’avoir déshérité. Il sera bien le principal héritier de la scierie près de la rivière. Encore une. Jacob reprend sa chambre mais passe beaucoup de temps au cimetière. Sur la tombe de Naomi. Les prises de bec avec son ami Blackburn sont plus fréquentes, plus acides. La jeune femme leur manque. Un bouquet de fleurs va faire exploser le tout.

Ron Rash a soixante-dix ans. Il a commencé par la poésie. Son roman est imprégné d’une sensibilité quasi mystique. Si Daniel et Cora incarnent la faute, Blackburn pourrait représenter le Juste. Défiguré depuis l’enfance, il a trouvé du travail parmi les morts, il est le fossoyeur. Mais il n’est pas comme son prédécesseur qui jurait comme un salopard, qui jetait ses mégots. Non, Blackburn est respectueux et il a trop peur d’une chose : de tomber dans le trou qu’il creuse. Il veille aussi sur Naomi Clarke. Il est celui qui ne croit pas. Ou plus. Un jour, il cesse de se plier devant la parole hostile, les menaces de Cora. Parce qu’il est indigné. Homme de peu de mots, il s’épanche auprès de Jacob. Enfin.

Jusqu’où peut-on aller par amour ? Cora et Daniel préfèrent voir leur fils souffrir. “ Il oubliera. “ Peut-être. Mais de quel droit pensent-ils à sa place. Ron Rash nous a raconté l’histoire de l’amour sous toutes ses formes : celui des parents, celui d’un homme et d’une femme, celui de deux amis. Il nous a parlé de fidélité, de trahison, de folie. Des thèmes universels que le romancier américain nous a livrés auréolés d’une poésie soyeuse. Les mots s’envolent légers et lourds de sens. Cosmiques.

« Une tombe pour deux » de Ron Rash, traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez, Éditions Gallimard/ La Noire, 304 pages, 20 euros.

 

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