Le « Buffalo Blues » de Keith McCafferty

On retrouve les personnages clés du romancier américain. La shérif Hyalite Martha Ettinger et son adjoint Harold Little Feather ainsi que le peintre pêcheur et enquêteur occasionnel, Sean Stranahan. On est toujours dans la vallée de Madison au Montana. Et cette fois, ce sont les bisons qui vont se disputer la première place de cette nouvelle intrigue de l’écrivain.

Le bison n’est pas une mince affaire dans cette partie de l’Amérique. Sans doute même un sujet radioactif. « Ces animaux sont des pions pris dans une controverse qui dépasse la régulation de la faune sauvage. Il s’agit en réalité d’une guerre culturelle qui implique tout le monde… Le gouvernement lui-même se trouve pris entre l’enclume et le marteau, avec d’un côté le secteur économique de l’élevage et de l’autre l’affection du public pour la grosse bébête, cette icône de l’Ouest qui, il y a seulement un siècle était en voie de disparition. » Alors, que s’est-il passé pour qu’un troupeau de bisons se jettent dans le vide près des Palisades Cliffs. Harold qui a découvert les bêtes agonisantes appartient à la tribu des Blackfeet, des chasseurs. Pendant des milliers d’années, ses ancêtres les ont acculé aux sommets de falaises pareilles à celles qui se dressent devant lui. On appelait ce piège le pishkum, une bouilloire de sang, ou encore un buffalo jump. Mais cela se passait avant que l’homme blanc ne débarque. Cela relevait de la tradition. Pas du carnage d’un animal désormais protégé.

Ils sont onze à avoir sauté et cinq à avoir disparu ? La première personne qui aurait pu répondre à cette question gît parmi les bisons, une flèche fichée dans la jambe. Plus tard, on découvrira qu’il est accroché à ses intestins. La deuxième personne s’appelle Theodore Thackeray, le genre de « type qui appartient à cette époque révolue où les hommes survivaient dans l’Ouest à l’aide de lames aiguisées, de scies à bûches et de fusils à bisons. » C’est un enragé qui a été rétrogradé l’année précédente. Chargé de mission auprès de Fish, Wildlfe and Park afin d’élaborer un plan de gestion du bison, il est devenu simple statisticien et autorisé à rester sur zone. On imagine facilement pourquoi il a pu déplaire. Prenez ses commentaires sur la brucellose, une maladie que porterait les bisons et qui ferait avorter les vaches. « Combien de bisons ont transmis ce truc sur le territoire du Montana ? Zéro. Nous faisons la guerre aux bisons pour une maladie qu’ils ne transmettent pas. Impossible d’un point de vue biologique. » Pas le genre de commentaires que les autorités locales veulent voir se propager pour des raisons bassement politiciennes et économiques. Une information à ce stade pas très importante mais qui le deviendra lorsque Harold se mettre en tête de sauver et de planquer un bisonneau et que le grand méchant du coin, Francis Lucien Drake, s’acharnera à récupérer. Mais pour l’heure, Thackeray refuse d’aider Harold dans son enquête.

Qu’importe. Sean Stranahan entre dans la danse. De manière fortuite. Ida Evening Star qui joue les sirènes dans l’aquarium d’un bar du coin l’embauche pour retrouver un client aperçu dans la semaine et qu’elle a bien connu par le passé. John Running Boy, 26 ans aujourd’hui et cent pour cent Blackfeet. Sean accepte. Il en pince un peu pour la jeune dame. Comme Martha n’a pas donné suite à leur petite idylle… Parce qu’il s’en passe des choses dans le roman de McCafferty côté cœur. Avec la shérif Ettinger en bourreau des sentiments. Le puzzle se met en place. Á la mode locale, avec un poil de nonchalance dans le fond et la forme. L’auteur s’est fait connaître pour son amour de la pêche à la mouche. Pas question d’y renoncer. D’autant que les talents de Sean Stranaham en tant que guide de pêche à la truite vont se télescoper avec son autre qualité, celle d’enquêteur. Il se trouve qu’il va jouer au « capitaine » pour deux faux jumeaux qui se présentent ainsi : « Brady et Levi, les frères Fedora ». D’emblée, Sean convient qu’il ne sait pas quoi penser d’eux. Côté pêche, ce n’est pas ça. Ce qui a l’air de vraiment les intéresser, c’est cette histoire de bisons. Puis très vite, ils lui déplaisent d’autant que Sean se demande s’ils sont liés à American Bison Crusade, un mouvement de doux dingues hippies qui militent pour la protection de ces icônes de l’Ouest. Et qui à ce stade de l’enquête figure sur la liste de suspects potentiels dans cette figure de style meurtrière du buffalo jump. Martha se fend d’ailleurs d’un petit récapitulatif : « Deux indiens et deux Blancs (deux frères) ont visité le site historique d’un buffalo jump à l’intérieur de la réserve des Blackfeet. Une semaine plus tard, un groupe de quatre types ayant le même profil sont aperçus dans un magasin de West Yellowstone. Ensuite, on a la reconstitution d’un buffalo jump ici même dans la vallée de Madison avec pour résultat, onze bisons morts plus un Indien tué par flèche. » Elle glisse au passage que la sirène n’est pas lavée de tout soupçon. Ce que Sean se garde bien de commenter.

Entre deux parties de pêches, l’enquête avance, encore une histoire de Blancs détraquées, d’Indiens accusés à tort, et de militants énervés pour ne pas dire illuminés. Il fut un temps où la chasse au bison était le passe-temps hype des hommes bien nés de la côte Est. Aujourd’hui, l’animal reste au cœur des tentations. Et Keith McCafferty en a tiré un de ses romans dont il a le secret. Aussi tranquille que la truite qui coule au milieu de la rivière.

« Buffalo Blues » de Keith McCafferty, traduit par Marc Boulet, Éditions Gallmeister, 496 pages, 23.90 euros.

 

 

 

 

 

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