Maeve va finir par devenir LE prénom de référence de toutes les jeunes et séduisantes rebelles. Il y a eu celle de la série culte pour ados, Sex Education, et maintenant il faut compter avec Maeve Murray, une catholique pur jus à la gouaille en passe d’être homologuée par les linguistes les plus téméraires. Savoureux personnage créé par l’Irlandaise Michelle Gallen et dont le but immédiat dans l’existence est de trimer pendant ses vacances pour gagner de quoi vivre décemment à Londres mais sans pour autant faciliter la vie à son employeur, voire même lui donner « Du Fil à retordre ». Ne serait-ce que parce qu’il est Anglais.
Maeve pique le lecteur dès les premières pages. Elle trimballe une forme de cynisme qui lui sert autant de bouclier affectif contre les attaques extérieures que de frein contre ses propres pulsions. Ne pas s’emballer, ne pas exploser. À travers Maeve, Michelle Gallen offre un portrait dur et désenchanté d’une jeunesse « cornerisée » entre la pauvreté et le sectarisme religieux avec un voisin anglais omniprésent. D’un côté les catholiques, de l’autre, les Réformés ou encore les protestants, les loyalistes. Si la jeune fille qui manie l’ironie avec un art consommé essaie tant bien que mal de s’affranchir de ce schéma mortifère, la réalité la rattrape toujours.
Maeve, 18 ans, attend avec impatience et anxiété les résultats de fin d’année déterminants pour son futur immédiat. Elle ne s’emballe pas, sait très bien qu’elle a fait ce qu’il fallait mais qu’elle n’a aucune chance d’être prise dans une université anglaise, elle la Catholique d’Irlande du Nord qui prétend faire du journalisme. La vérité, un gros sujet de manière générale mais encore plus en Ulster. Il y aurait de quoi dire sur l’objectivité et la subjectivité, des concepts mal compris, voire surcotés. Mais que peut-on faire face au destin ? Le contourner, peut-être. Alors soixante-quatorze jours avant les résultats, Maeve s’inscrit à l’usine avec deux autres amies en partant du principe qu’elle sera prise. Elle aura besoin de cet argent pour sa nouvelle vie à Londres.
Qui est le boss de cette entreprise de textile ? « Andrew Strawbridge, un connard d’Anglais » qui l’appelle constamment « Mizz Murray ». Ce qui l’énerve prodigieusement. Les ouvrières ? On pratique la réconciliation dans cette boîte, alors catholiques et protestants travaillent ensemble. Se mélangent elles ? En réalité, pas vraiment, bien évidemment. Même si parfois, la dureté des rapports entre elles et la direction les amènent à faire front commun, notamment sur les conditions de travail. Et la paie.
Justement la paie est un problème. « Andy Bandit » y veille. Maeve s’en aperçoit par hasard. Elle a été plus payée que prévu. Une erreur ? Non. Une faveur, le bon vouloir du boss. Ce n’est pas le cas d’une réformée qui découvre le pot aux roses. La politique est partout. Même à l’usine. L’ombre de l’Ira plane aussi sur les machines. Maeve va s’en apercevoir un peu à ses dépens. Mais pour l’heure son horizon immédiat : une montagne de chemises à repasser et moins de trente-deux secondes pour y parvenir. Maeve se dit qu’il n’y a pas de raison pour que « les catholiques ne soient pas aussi minutieuses que les protestantes ». Cela doit faire soixante-dix chemises à l’heure pour atteindre le niveau de base. Un défi qu’elle veut relever.
La signature de Michelle Gallen réside sans nul doute dans le ton, la gouaille et la crudité avec lesquels s’exprime Maeve. Mais pas seulement. L’époque des « Troubles » est superbement bien racontée, à hauteur d’une jeunesse trop tôt désabusée parce que confrontée à une violence politique dont elle se serait bien passée. Maeve a des rêves plein la tête. Sa scolarité réussie l’autorise à se projeter. Ce qui est énorme. La plupart des jeunes n’ont même pas cette chance et se contente d’assister au naufrage programmé de leur propre destin.
« Du Fil à Retordre » de Michelle Gallen, traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau, Éditions Joëlle Losfeld, 352 pages, 25 euros.