Sur un fil. En équilibre. Romancière ou journaliste ? Sophie Loubiere est les deux. Mais cette fois, quel rôle endosser pour raconter un « féminicide » ? Pas n’importe lequel. Celui de Karine Albert tuée par l’ancien maire de Thionville, Jean-Marie Demange. Dix-sept ans plus tard, « Une minute de silence » revient sur ce drame avec les mots d’une femme qui avance sur la pointe des pieds dans sa quête de la vérité. Infiniment sensible.
Le True crime, ce genre littéraire qui nous vient des États-Unis. Une nouvelle maison d’édition française, Dark Side, s’est lancée dans l’aventure et consacre tout son catalogue au genre encore peu développé en France malgré quelques tentatives récurrentes. Le True Crime est un reflet cruel de nous-mêmes. Il n’y a pas de place à l’imagination, tout est vrai, tout a été possible. Pas d’échappatoire. La fiction n’y a que peu de place.
Le 17 novembre 2008, à l’Assemblée nationale, une minute de silence est observée en hommage au député de la neuvième circonscription de Moselle qui s’est donné la mort. Pourtant, quelques heures auparavant il a tué son ex-maîtresse. Le nom de la jeune femme n’est même pas évoqué. Sophie Loubière ne laisse pas passer ça. Une minute de silence ? Sérieux ? Pour quelqu’un qui a donné la mort.
Elle commence par le crime. Le 17 novembre 2008. Elle vient de visionner le reportage qui a suivi le drame. Le journaliste a trouvé un témoin. Les mots claquent. « Avant, oui. Il la tabassait. Il la secouait. Il essayait de l’attirer dans l’appartement mais elle s’agrippait… c’est quand jai vu le pétard dans la main…et il s’est dit Putain, il va quand même pas la buter… et il la fait ». Voilà, c’est dit. Celui qui a porté le coup final s’est donné la mort. Le mystère va porter sur le pourquoi.
Que fait la romancière ? Elle passe des coups de fil. Le boss du Républicain Lorrain et épluche le journal au moment des faits. À ce stade de sa démarche, elle opère encore comme une journaliste. Réunir les faits et les vérifier. Chaque chapitre est titré. « Annus horribilis », « La Fable », « La Dispute »… tout est radiographié avec une précision chirurgical. Comprendre veut dire aussi fouiller. Sophie Loubière hésite, la chose n’est pas agréable, chercher à faire parler les proches, la famille, terrain miné. « Je doute de la forme, de mes capacités à restituer de l’écriture, les coups de fil tombés du ciel, ces voix qui s’entremêlent par le jeu de la confidence, je crains leurs révélations, approximations, oublis, affabulations, manipulations, la capacité qu’ont ces hommes et ses femmes de s’ouvrir ainsi à moi me trouble… » Le poids des mots, la responsabilité de celle ou celui qui les utilise, Sophie Loubière en a une conscience aiguë.
La personnalité du député est disséquée. Son enfance, son rapport au père (désastreuse), l’épouse absente parce que malade et pas vraiment soignée, l’hubris du politique. Elle ne l’accable pas forcément, il aimait les femmes, il avait une conscience, celle de ne pas quitter la sienne, malade, mais il avait trouvé l’amour avec Karine. Des explications, des raisons. Comme celle de la chute lorsqu’il n’est pas réélu, ce vide incandescent qui le saisit et dont il ne se remet pas au point de… Mais pas d’excuses. On ne tue pas celle que l’on dit aimer. La justice n’est pas davantage épargnée. Cette façon qu’elle a eu de prendre de haut la victime. Et ces politiques qui ont fait corps derrière l’un des leurs sans égard pour celle qui a subi. La presse est pointée du doigt pour ses excès et ses manquements. Il y a un souci de transparence de la part de la romancière. « Extrait de la transcription de mon échange en date du 21 octobre avec Marie-Jo Zimmermann, conseillère départementale de Moselle, députée ce la troisième circonscription de Moselle (1998-2017) ». Ce qu’elle raconte sur le fonctionnement et les rapports en politique entre femmes et hommes est édifiant pour ne pas dire atterrant. De façon générale, et de la part de Jean-Marie Demange en particulier. « Il faisait partie des gens qui ont été très durs avec moi. Il ne me facilitait jamais les choses. S’il pouvait être sympathique avec ses collègues hommes, il me faisait clairement comprendre que je n’avais pas le niveau d’un élu. Mais il n’était pas seul : j’étais tellement habituée quez ça ne me touchait même plus ».
Les femmes, la femme dans cette histoire, ce livre, la société. Le mot « féminicide » n’existait pas lorsque Karine Albert est morte. Sophie Loubière a adressé une lettre à ses enfants. Les articles sur leur mère existent à peine. « J’y ai puisé ce que je sais de Karine. Une trop brève exploration, à l’image du poids d’une femme dans l’histoire de l’humanité ». Le constat de Sophie Loubière est sans appel.
« Une minute de silence » de Sophie Loubière, Éditions Dark Side, 224 pages, 19,95 euros.