« Corps, corps, corps, carnet d’une médecin légiste » de Karine Dabadie et Macha Séry

Ce sont des cailloux comme ceux du Petit Poucet. Jetés sur une route, mais surtout pas en ligne droite. Le texte du médecin légiste Karine Dabadie et de la journaliste Macha Séry, emprunte des voies détournées pour décrire un métier peu banal. Peut-être faut-il au moins cela pour se livrer comme on dissèque un corps posé, là, sur une table froide sous des néons blafards. La vie puis la mort. Un coup puis un autre. Le premier veut supprimer, le second veut comprendre. Pourquoi le nombre de féminicides ne baisse pas. Pourquoi les mamans frappent leurs enfants.

Il y a le temps de la scène de crime. Violente, souvent sanglante. Puis le temps de la dissection avec les lésions apparentes. Et les autres, celles que l’on découvre, anormales,  « un corps maigrelet, 11 kg pour 87 centimètres, qui au-delà du choc donne la cause du décès : mort à la suite d’une dénutrition et d’une déshydratation sévères avec œdème cérébral anoxo-ischémique dans un contexte de maltraitance d’une extrême gravité ». Le garçonnet avait huit ans. Sa mère le pensait envoûté. « Son cœur pesait à peine 68 grammes ». Des cas de ce genre, Karine Dabadie en a vu beaucoup. Trop. Alors, elle pose la question. « Pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi ces plaintes non traitées ? Pourquoi avoir négligé des signes annonciateurs ? »

Il est là l’intérêt de l’ouvrage de cette médecin légiste. Karine Dabadie va au-delà de cette phase où le cadavre est une dernière fois malmené. Elle veut agir en amont. Prévenir. Faire en sorte que l’on entende lorsqu’une femme dénonce un conjoint, compagnon à la main lourde, que l’on secoue une administration rétive, voire hostile aux drames de tous les jours, ceux du quotidien, du banal que l’on tient à distance. Karine n’est pas faîte de ce bois-là. Pas question de se contenter de découper des cadavres toute la journée. L’Institut de médecine légale de Point-à-Pitre, en Guadeloupe, lui offre l’occasion dont elle rêve. Et de 2012 à 2016, elle met en place un nouveau protocole novateur de signalement des violences conjugales. « Ces six années aux Antilles resteront à jamais gravées en moi. J’ai pu concevoir le service que je souhaitais, soutenue en cela par une direction hospitalière et une institution judiciaire bienveillantes ».

Dans cet ouvrage « qui ne peint pas le médecin légiste en enquêteur hors pair », Karine Dabadie explique, décrypte, s’insurge, motive. En parlant d’elle, de son parcours, impeccable et pourtant cabossé. Cinq enfants, ce n’est pas rien dans la vie d’une femme qui travaille. Un supérieur mâle, très mâle, le piège du harcèlement, elle qui connaît pourtant les méandres de l’esprit et qui succombe. Se montrer forte et vulnérable, le destin de tout un chacun, peu importe le milieu social et le niveau d’études. Karine Dabadie a relevé la tête, repris le chemin de la réparation. Anticiper, former, écouter entre les mots, lire entre les lignes, ne jamais sous-estimer la souffrance. C’est un livre hybride entre la confession et l’essai qui parle du corps de l’autre, vivant et mort, et du sien agressé dans l’enfance. Un joli moment d’humanité.

« Corps, corps, corps, carnet d’une médecin légiste » de Karine Dabadie et Macha Séry, Éditions Globe, 160 pages, 19 euros.

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