Il lui aura fallu trente ans. Trente longues années avant de se décider à affronter cette douleur sourde qui caractérise la perte. L’amputation d’une partie de soi. L’historienne écrivaine Liliana Rivera Garza a fini par oser affronter cette douleur. Pour cela, il lui a fallu se retourner, remonter le fil tu temps, plonger dans les arcanes de l’histoire familiale, farfouiller, éplucher les courriers de sa sœur, dénicher les comptes-rendus juridiques, et mettre en perspective en quoi la mort de Liliana s’inscrivait bien dans la longue et tragique liste des féminicides de son pays, le Mexique.
Parce que c’est une nation qui tolère que dix à onze femmes meurent chaque jour sous les coups de leur conjoint, ami ou amant. Liliana, 21 ans, est sûrement morte frappée par son ex-petit ami, Ángel Gonzales Ramos. Il ne sera jamais arrêté. S’il avait été, il aurait sans doute bénéficié de la mansuétude du jury, les actes de ce genre étant classifiés dans les années 90 de crimes passionnels. Le féminicide ne sera inscrit dans la loi comme crime que le 14 juin 2012. Mais Très vite, Liliana découvre que le dossier du meurtre de sa sœur est perdu. Il lui faut aborder le drame d’une autre façon.
Cristina Rivera Garza fait revivre Liliana. Elle retrouve ses amis, plonge dans les innombrables lettres que sa sœur écrivait à tout un chacun. « Aujourd’hui j’e n’écris pas avec ma plume, parce que je ne l’ai pas avec moi, je l’ai passée à Angel.je l’aime bien, je l’aime beaucoup, et je ne pense pas que ce soit cucul de dire que je l’aime. J’ai appris à l’aimer pour des BETISES. Lily ». Elle vient de fêter ses quinze ans. Cristina découvre qu’elle écrit beaucoup, comme ça à la va-vite. Tout ce qui lui passe par la tête. Partout, souvent à la troisième personne. Elle a une très belle écriture. La vie brille dans ses yeux. « Je viens de me lever, tout le monde dort ». Puis tels les cailloux du petit Poucet, Liliana glisse des phrases qui sonnent aujourd’hui comme des alarmes. « J’ai été trop dure avec Ángel. Sa faute, c’est de m’aimer comme il m’aime ».
Lorsqu’elle meurt, les parents de Liliana sont en voyage. Ils précipitent leur retour. L’écrivaine les fait parler. Les souvenirs affluent, douloureux, culpabilisateurs. « A l’époque je n’ai pas prêté attention à ce qu’elle me disait vraiment mais plus tard j’ai dû me rendre à l’évidence qu’il la menaçait… J’ai cru toujours cru à la liberté, parce que c’est seulement dans la liberté que l’on peu savoir de quel bois on est fait. La liberté n’est pas le problème. Le problème, ce sont les hommes ». Antonio Rivera Pena. Le papa. Cristina Rivera Garza a su transcender sa propre douleur et rendre vie non seulement à sa sœur mais aussi par ricochet à des milliers de victimes anonymes qui périssent chaque jour au Mexique. En toute impunité.
« L’Invincible Été de Liliana » par Cristina Rivera Garza, traduction de Lise Belperron, Éditions Globe, 400 pages, 23 euros.