« La Mission » de Tim Weiner : la CIA est-elle au service du pouvoir ?

La première fois que le journaliste Tim Weiner s’est intéressé de près à la Central Intelligence Agency (CIA), c’était en 1988. La CIA armait les moudjahidines contre les Russes, en Afghanistan. Il devient alors très vite le spécialiste de l’Agence pour le New York Times et obtient un accès presque sans limite aux agents, aux archives et surtout aux souvenirs des vétérans de l’Agence. En 2007, il écrit Des cendres en héritage qui portent sur les prisons secrètes de la CIA dans le monde. Il revient aujourd’hui avec La Mission qui chronique le XXe siècle de cette entreprise hors norme. Un travail sans concession et édifiant qui relate les succès et les échecs de cette entreprise qui fait pas mal fantasmer.

Lorsque l’Agence est créée en 1947 par le président Harry Truman, elle a pour objectif  d’empêcher un nouvel Pearl Harbor. Elle n’a pas vocation à mener des actions clandestines. Mais un autre président, Dwight Eisenhower, ne l’entend pas de cette oreille. Il demande à la CIA de renverser en secret les gouvernements du Guatemala et celui d’Iran. Problème, des agents se mettent à table. L’Agence acquiert de façon irréversible une réputation d’organisation spéciale coups tordus. D’autant que ceux qui suivront ne résisteront jamais à utiliser les actions clandestines de l’Agence

Dans un grand moment de clairvoyance, la Secrétaire d’État Condoleezza Rice se moque des recommandations du directeur de la CIA, George Tenet, qui alerte « sur une menace terroriste réelle » et demande aussi l’autorisation de « capturer ou de tuer Ben Laden ». Condi Rice balaie tout ça d’un revers de la main. Il est hors de question pour elle d’en informer le président. On connait la suite. Les attaques contre les tours jumelles du World Trade Center et du Pentagone à Washington feront près de 3.000 morts. Le livre de Weiner raconte par le menu toute cette période surréaliste où la CIA découvre qu’elle ne connaît rien d’Al Qaïda, (alors que le FBI savait mais les deux agences ne communiqueront jamais) que le trio Bush, Cheney (vice-président) et Rumsfeld (Secrétaire à la Défense) est déjà persuadé que Saddam Hussein est à la manœuvre. On est quand même effaré de constater que des gens sortis des universités les plus prestigieuses du pays soient à ce point ignorants ou fermés à toute explication rationnelle, privilégiant toujours leur idéologie ou leurs croyances dévoyées.

Le cœur du livre est aussi une interrogation : comment une agence sensée protéger la démocratie de son propre pays a-t-elle si souvent contribué à la fragiliser hors des frontières américaines ? De la guerre froide à la lutte contre le terrorisme, la CIA a navigué entre analyse et action clandestine, privilégiant très souvent l’intervention à la compréhension. Iran, Guatemala, Vietnam, Afghanistan, Irak : on retrouve souvent les mêmes erreurs de jugement nourries par la politisation du renseignement et la pression du pouvoir exécutif. Paul Bremer en Irak est l’une des plus spectaculaires.

La guerre en Ukraine marque un tournant pour l’Agence. Pour la première fois, la CIA va sortir de l’ombre et se livrer à « une spectaculaire guerre éclair informationnelle. Les États-Unis vont annoncer ce qu’ils savent sans l’ombre d’un doute, que la Russie se prépare à envahir l’Ukraine ». Tout le monde a encore en mémoire le mensonge et fiasco du rapport sur les armes de destruction massive inexistantes de Saddam Hussein. Il s’agit de ne pas se tromper une nouvelle fois. C’était en février 2022. La Russie a bel et bien envahi le voisin ukrainien mais avec des yeux plus gros que le ventre. Nous sommes fin 2025 et le pays est encore debout.

Aujourd’hui, tout le monde s’interroge sur les rapports qu’entretient Donald Trump réélu avec son homologue Vladimir Poutine. Il a humilié le président ukrainien Zelensky à plusieurs reprises, servant ainsi l’agenda du maître du Kremlin. Pour Tim Weiner, si depuis dix ans on s’interrogeait sans avoir de réponse claire, aujourd’hui, il n’y a plus de doute. «Trump n’est pas l’agent de Poutine. Il est son allié. Le président des États-Unis est passé de l’autre côté ». « Une vision de la politique étrangère que la CIA a combattu pendant quatre-vingt ans », conclu le lauréat du prix Pulitzer, avec inquiétude.

La Mission de Tim Weiner, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Boisivon, Éditions Robert Laffont, 566 pages, 24,90 euros

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