Le « Vieux Kapiten » albanais de Danü Danquigny

Un polar entre la France et l’Albanie. Danü Danquigny aime ce pays austère et ne s’en cache pas. Il dénonce même une mauvaise réputation injustifiée. Pourtant, les personnages de son dernier roman, « Vieux Kapiten », ne possèdent pas le CV le plus exemplaire, loin de là. Mais pour mener à bien un bon roman policier, ils sont du pain béni. Kapiten est un ancien de la Sigurimi albanaise. Un type qui se considère comme un homme honnête mais un type avec du sang sur les mains. Un vieux à bout de souffle, rongé par une vendetta personnelle à l’encontre de La Brique, l’un des personnages de son enfance devenu criminel, et en quête de rédemption avec une dernière mission : sauver sa dernière fille, Jorgjica.

« L’idée m’est venu, lors d’un voyage en Albanie, explique, Danü et notamment en visitant les fameux bunkers que l’on trouve à travers le pays. Enver Hoxha, le dictateur était un grand paranoïaque. A Tirana, la capitale, certains de ces bunkers ont été aménagés en musée. On vous met dans les conditions de l’époque, en ayant le droit de visiter les cellules. Il existe des pièces entières où sont affichées les listes interminables de personnes exécutées par le régime. C’est comme ça qu’est né le personnage de Kapiten. » Le pays des aigles agit comme un aimant sur l’auteur, lui qui pourtant, ne voulait pas être enfermé dans cette case exclusive d’écrivain albanais. Le vieil Ernest Dervishi, alias Kapiten, quarante ans de Segurimi, le terrible appareil sécuritaire albanais, se sait mourir. Il boit du xhevze, sa femme est morte, deux de ses filles sont à l’étranger. Et il fait des cauchemars.

Pendant ce temps-là, à l’Ouest, à Morclose, une ville imaginaire. « La ville est très importante dans le cadre d’un roman noir et pour ceux qui connaissent Rennes, ils verront que c’est un peu le calque de cette ville. Je l’ai imaginée parce que je ne voulais pas être coincé par le réel, je souhaitais pouvoir montrer les multiples visages d’une cité dans laquelle j’ai glissé des lieux de mémoire réels. » La Morclose bétonnée de Danquigny n’est pas accueillante, elle abrite des gens qui s’ignorent ou se croisent sans se voir, disparaissent parfois avant de revenir une fois sortis de prison, des gens toujours chargés à quelque chose de pas bon pour la santé, des femmes et des hommes partis battus d’avance dans la grande roue de la vie. Dans cette galerie de portraits, il y a Didier Sourisse, petit dealer à une échelle « bazar du coin plutôt qu’hypermarché de la défonce. » Le genre qui vivote pour ne pas vivre bien vieux. Il y a Élise Archambault, détective privée, bardée de casseroles qui l’ont fait virer de la police. Un coup de sonnette et l’avocat Simon Cachin est là sur le seuil de sa porte. La dernière personne qu’elle ait envie de voir, c’est un pourri. Mais même ceux-là ont un cœur. En l’occurrence un fils, Joshua Cachin, 24 ans, disparu et dont la mère est folle d’inquiétude. Élise accepte. Il y aussi Desmond Sasse. Alias Peter Punk. La loose sympathique, quasi grand seigneur. En cheville avec Didier Sourisse qui gît justement sur le sol de son studio. Nu et mort. Que s’est-il passé ?

Il s’est passé que tout ce petit monde va se télescoper et surtout que les flics vont s’imaginer que Sasse, « zikos foutraque » a dézingué Sourisse. Alors, il faut qu’Élise le croit parce que ces deux-là ont peut-être un bout de chemin à faire ensemble. Alors, il imagine un plan qui le conduira sur les routes albanaises. Avec pour objectif furieux de s’en prendre à Dritan Kovaçi, surnommé Amerikano, le diable du Kapten. Et si le Français avait raison, se dit Kapiten. Et s’il fallait agir plutôt que d’observer comme il l’a fait depuis tant d’années. Au fond, pas difficile dès que l’on parle de stupéfiants. « L’Albanie, poursuit, Danü Danquigny, est en train de devenir un narco-état, le Mexique de l’Europe. La moitié de la drogue consommée en Europe occidentale transite par l’Albanie. C’est plus facile de passer par là et d’avoir ainsi un accès direct au marché européen que d’utiliser les grands ports du continent. D’où la mauvaise réputation… » Il fallait bien la folie de ce Français pour s’attaquer au diable. D’ailleurs, il lui suffira « de moins de trois heures pour foutre le feu partout. » L’auteur applique les règles classiques du roman noir. Il soigne ses personnages et sa connaissance du pays nous donne envie d’aller voir d’un peu plus près ce territoire meurtri et qui vécut dans un trou noir pendant près de quarante ans.

« Vieux Kapiten », de Danü Danquigny, Éditions Gallimard/Série Noire, 256 pages, 18 Euros.

 

 

 

 

 

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