Le décompte des votes du collège électoral a commencé. Nous sommes en novembre 1860 et Abraham Lincoln est sur le point d’être officiellement désigné comme le nouveau président américain sans avoir remporté le vote populaire. Ce jour-là, une foule de sudistes en colère tente de pénétrer dans le Capitole. Un certain nombre y parvient malgré la vigilance de l’armée. Cinq mois plus tard, la Guerre de Sécession commence. Le 6 janvier 2020, une foule tout aussi excitée s’introduit dans ce même capitole. Cette fois, ils sont nombreux. Il y a des blessés et des morts. L’Histoire possède ses variantes mais l’objectif n’est-il pas le même ? La prise de pouvoir d’un groupe au détriment d’un autre.
Erik Larson est devenu le spécialiste du genre. Partir d’une histoire vraie, voire d’un fait historique, le décortiquer par le petit bout de la lorgnette et en tirer un récit souvent épique, toujours passionnant. Un rêve de feu n’échappe pas à la règle. L’affaire n’était pas aisée. Le meurtre de Lincoln a été puissamment documenté, il fallait trouver un nouvel angle, une autre façon d’aborder cet événement historique tragique. L’ouvrage couvre la période de novembre 1860 à avril 1861. Le point de bascule à partir duquel la crise électorale se transforme en guerre civile ouverte. Le romancier s’est focalisé sur le détail militaire qui provoque la guerre, le blocus de Fort Sumter avec un personnage remarquable, le major Robert Anderson. Il détaille aussi par le menu, le voyage qu’entreprend le tout nouveau président afin de rejoindre Washington. On apprend ainsi avec amusement que Lincoln s’emploie à vendre tout un tas de biens personnels, afin de pouvoir se payer son périple. L’opulence n’était pas encore de bon ton chez les présidents de cette ère.
Tout part de la Caroline du Sud. L’État sudiste a fait sécession le 20 décembre 1860. Le major Anderson est un pur militaire. Officier de carrière originaire du Kentucky, un État frontière, il est à la fois un homme du Sud et fidèle à l’armée fédérale. Il incarne à lui seul la déchirure du pays. Il prend alors une initiative audacieuse qui frise la désobéissance. Il transfert discrètement sa garnison de 85 hommes du Fort Moultrie qu’il juge trop vulnérable, vers Fort Sumter, une forteresse plus solide mais située au milieu du port de Charleston et qui va devenir une sorte de symbole de légitimité fédérale. Les miliciens sudistes y voient un geste de défi implicite et réagissent au quart de tour, en occupant Poultrie et en isolant Sumter. La suite est une lente glissade vers la guerre que Anderson ne souhaite pas. Et qu’il va pourtant déclencher malgré lui. Après des mois de siège et un blocus féroce, les forces sudistes tirent sur Fort Sumter poussant le major à la capitulation. Cette décision purement tactique et militaire est devenue un acte politique.
Deux Amériques s’affrontent. Déjà. Le Nord abolitionniste, industriel avec une forte immigration européenne. Le Sud, rural hiérarchisé, arcbouté à l’esclavage considéré comme un ordre « naturel ». La classe dirigeante blanche a le sentiment d’être menacée dans son identité même. Déjà. Erik Larson s’appuie sur les journaux intimes, les mémoires, les archives et les comptes-rendus d’un correspondant de guerre anglais de l’époque (le premier) William Howard Russel. « Je ne me serais jamais attendu, écrit Erik Larson dans ses remerciements, à ce qu’un correspondant de guerre britannique nommé William Howard Russell se révèle être une source aussi précieuse, et pourtant tel a été le cas ». L’atmosphère délétère à Washington et paranoïaque du Sud est passée au scalpel. Les mécanismes de la peur, alimentée par des rumeurs invraisemblables, des bruits de botte qui résonnent à l’horizon, Erik Larson n’oublie rien. L’ouvrage est touffu mais tombe à pic. On retrouve le sentiment d’humiliation d’une partie de la population, cette logique du « nous contre eux » utilisée jusqu’à plus soif par Donald Trump dans sa conquête de la Maison Blanche. De façon aussi rationnelle qu’irrationnelle, la sécession devient l’option ultime dans ces années-là. Un rêve de feu revient sur un moment historique clé de la nation américaine. Mais il éclaire aussi d’un jour sombre ce qui se passe depuis l’avènement du milliardaire au pouvoir.
Un rêve de feu de Erik Larson traduit de l’anglais (États-Unis) par Hubert Tézenas, Éditions Le Cherche Midi, 715 pages, 26,50 euros.
