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« La Liste de l’écrivain » , de Christophe Agnus

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Un type qui avoue d’emblée ses crimes. Le rêve de tout enquêteur. Problème, le lascar semble n’avoir aucune existence légale. Une jeune enquêtrice un peu plus maligne que ces Messieurs, trouve néanmoins une piste. Les noms des victimes du serial killer sont empruntés à un auteur à succès. « La Liste de l’écrivain » est un habile polar d’anticipation mené tambour battant par Christophe Agnus. Avec mention très spéciale pour une fin bien tordue.

 

« La Liste de l’écrivain » par Christophe Agnus, Editions Robert L’affront, 409 pages, 21.90 euros.

 

« Last Call » d’Elon Green : un True crime dans le milieu gay new-yorkais

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Un boulot titanesque. Comme toujours dans ce genre d’enquête. Le journaliste d’investigation, Elon Green, a remporté l’Edgar Award du meilleur True crime avec « Last Call ». Ou le « tueur de la dernière tournée », comme l’avait surnommé la presse dans les années 90. Ses victimes ? Les hommes de la communauté Gay de New-York. Des meurtres oubliés et mis de côté par la police en pleine époque sida. L’auteur leur donne une seconde vie.

 

« Last Call » par Elon Green, traduction de Héloïse Esquié, Editions Sonatine, 311 pages, 22.50 euros.

« La situation » de Karim Miské

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Une idée de génie. Imaginer la France en 2030 avec un Paris coupée en deux. D’un côté les islamo-wokistes et de l’autre, la Ligue française. Un gouvernement réfugié à Chartres. Kamal Kassim a préféré se tenir à l’écart de tout ce bordel jusqu’au moment où une attaque au pied de chez lui, l’oblige à sortir du bois. Une verve toujours aussi jubilatoire pour Karim Miské, Grand Prix de littérature policière avec  » Arab Jazz  » en 2012. Le bonhomme aime les quartiers populaires où le bordel ambiant fait office de loi. Avec  » La Situation « , tout s’est déréglé. Sauf son talent.

 

« La situation » de Karim Miské « , Editions Les Avrils, 259 pages, 22 euros.

« Le Fils du père » : la quête infinie de Victor del Árbol

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La filiation. Le fil rouge et noir de toute l’œuvre de Victor del Árbol. Son dernier roman, « Le Fils du Père », ne fait pas exception. Dans les interviews, le romancier espagnol n’a jamais caché les relations désastreuses qu’il a pu avoir avec son géniteur. Cette fois, c’est la famille entière qui prend violemment les coups. Diego, fils d’Antonio et petit-fils de Simon, la première voix de l’ouvrage. On retrouve les thèmes de l’écrivain, la guerre civile, la domination franquiste, la collaboration avec les Allemands. Diego est un renégat. Il a fui ses origines sociales, il les a reniées. Mais échappe –t-on jamais à son passé familial ? Victor del Árbol n’a pas craint de se faire mal. Il a creusé la plaie. Le but ultime ? La réconciliation.

« Le Fils du Père » de Victor del Árbol, traduit par Claude Bleton et Emilie Fernandez, Edition Actes sud/Actes Noirs, 368 pages, 23 euros. 

« Les Voleurs d’Innocence » : le roman gothique de Sarai Walker

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Evidemment que l’on pense aux « Quatre filles du docteur March » ou encore à « Virgin Suicides » de la réalisatrice Sofia Coppola. Il n’empêche. Sarai Walker a su trouver un ton, une voix et a écrit un conte gothique pour petits et grands que l’on n’est pas près d’oublier. Truffé de pièges littéraires, « Les Voleurs d’Innocence » nous transporte dans les années 50 au sein d’une une famille nombreuse, d’un genre particulier. Dysfonctionnelle, dirait-on, aujourd’hui. Où la mort l’emporte toujours.

Deux époques. Aujourd’hui et dans les années 50. Deux lieux, la Californie et la Côte-Est des États-Unis. Là où réside l’aristocratie américaine. Mais pas n’importe laquelle. Celle qui gagne beaucoup d’argent en vendant des armes. Tuer pour assurer la paix.

Le roman s’ouvre donc sur le temps présent. L’artiste Sylvia Wren reçoit une lettre. Une demande d’interview. Une de plus. Elle n’y donne jamais suite parce qu’elle vit quasiment recluse. Mais cette missive est d’une autre facture. L’expéditrice, une journaliste, affirme connaître son secret.

L’auteur change alors d’époque. Nous sommes dans la famille Chapel. Ce n’est pas rien la famille Chapel. Elle pèse lourd dans le paysage capitaliste chez les Yankees. Elle se compose du père, de la mère Belinda et des six filles qui portent toutes des noms de fleurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. C’est l’aînée qui bien malgré elle, va donner le coup d’envoi de ce jeu de massacre. Elle décide de se marier. Belinda, qui sort le moins souvent de sa chambre, affronte le monde extérieur. Et tente ainsi de s’y opposer de toutes ses forces. Mais qui prête la moindre attention aux propos obscurs d’une femme considérée comme dérangée. Personne, hormis Iris. Le drame a pourtant lieu, puis le suivant. La malédiction des sœurs Chapel est née. D’abord, elles se marient, puis on les enterre.

Iris a survécu. Elle est devenue Sylvia Wren. Une artiste riche mais dont personne ne connaît le visage. Elle vit avec une femme. Jusqu’ici, elle a toujours évité de se pencher vers son passé. Cette journaliste intrusive vient tout bousculer. Et l’obliger à refaire le chemin de sa vie en sens inverse. Quitte à déposer les armes. Et achever la malédiction.

L’auteur y va franco. La maison des Chapel ? Un gâteau de mariage. Il y a bien un petit aspect tarte à la crème dans la profusion des détails, des adjectifs, des descriptions. Le roman ressemble à une barbe à papa truffée de clous de girofles. Parce que Sarai Walker ne dédaigne pas les codes du roman de l’horreur. Lorsque Aster meurt dans des convulsions atroces et une forte quantité d’hémoglobine, on oublie vite fait les dentelles, les froufrous et les tenues de ces jeunes filles. On plonge dans le grotesque.

Mais un conte reste un conte. Il comporte un message. Le mariage est ici associé à l’au-delà. Malheur à celle qui s’imagine voler vers la liberté en épousant le premier venu. Les filles font des études qu’elles abandonneront aussi sec dès qu’elles trouveront un mari. On ne leur demande pas d’être vulgaire et de travailler. Leur futur est d’enfanter et d’attendre l’époux le soir venu. Sarai Walker décrit à la loupe de la condition féminine d’un certain milieu social. Celui des ultra – riches. Femmes à l’avenir corseté, prisonnières de codes patriarcaux, l’argent ne les aide pas davantage. Si ce n’est à mourir à petits feux, la manucure parfaite et la coiffure impeccable. Sarai Walker semble s’être amusée à imaginer cette histoire. Nous, on s’est régalé à la lire.

« Les Voleurs d’Innocence » de Sarai Walker, traduit par Janique Jouin-de Laurens, Editions Gallmeister, 621 pages, 26.40 euros.

 

 

 

« Comme si nous étions des fantômes » : l’autre guerre de Philip Gray

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Amy Vanneck porte des habits élégants, des chapeaux de paille. Elle est bien née. Elle est la fille de Lady Constance. Edward Haslam est un petit professeur de musique. Ils n’auraient jamais dû se fréquenter. Mais la guerre arrive. Il est promu capitaine du 7ème régiment de Manchester. Elle devient sa fiancée.

La guerre est une affaire d’hommes. La chose est communément entendue. Mais le romancier britannique Philip Gray en a décidé autrement. Sa guerre sera auscultée par le prisme d’une femme, non, d’une dame, comme le souligne un militaire qui l’accueille à Amiens. Mais que fait justement cette dame, là où la gent féminine ne va jamais, là où d’ordinaire elle est considérée comme portant malheur. Que cherche-t-elle dans ces tranchées au lendemain d’une Armistice brûlante ? Son fiancé, l’amour, la vérité, la réhabilitation ?

Comme si nous étions des fantômes est un roman d’amour et de métal sur fond de Première Première mondiale. Nous sommes en 1919. Les armes se sont tues. Le temps est à la sombre découverte des corps laissés déchirés derrière les lignes ennemies mais désormais aux mains des vainqueurs. Le capitaine James Mackenzie est à la tête de cette funeste  unité. Le fiancé d’Amy a été déclaré disparu puis présumé mort en août 1918. La jeune femme veut en avoir le cœur net, elle a décidé de se rendre sur place. S’il est vraiment décédé, elle se battra pour qu’il soit décemment enterré. Le sang se mêle aux larmes, la force domine, les faibles n’ont pas  leur place, le Mal s’est répandu dans les interstices de la terre crucifiée par des combats encore vivaces. « Quoi qu’il arrive, écrit Haslam à Amy, nous ne pourrons revenir au point de départ. Nous ne pourrons plus être des enfants, impuissants, malléables et vierges de tout péché. » Le désespoir affleure entre les lignes, elle le sait parce qu’elle le connait. Haslam était farouchement anti-guerre et qui s’était engagé par amour.

Le romancier a été aussi journaliste, il s’y connaît en enquête. Formidablement bien documenté, son histoire suit les pas intrépides d’une jeune femme qui déjoue tous les clichés du genre et nous offre aussi un des plus jolis portraits d’aventurière moderne. On aimerait avoir été un jour, Amy Vanneck. On se voit traverser les lignes, patauger dans la boue, souffrir sans ne rien dire, soulever des montagnes, en quête d’un amour qui ressemble fort à une quête de rédemption et de réhabilitation. Le courage n’est pas genré, n’en déplaise à ces Messieurs.

Mais dans cette quête désespérée, le charnier de treize corps atrocement mutilés au fin fond d’un tunnel vient tout bousculer. Ce sont des coolies, des Chinois assassinés? Par qui? Haslam? Le nom de Two Storm Wood revient sans cesse. Il est glissé par mégarde, puis repris, écarté avant de revenir brûlant sur le devant cette scène de fin du monde. On veut lui faire croire que c’est un mythe, une légende, qu’en réalité et si le lieu existe vraiment, de toute façon, elle ferait chou blanc. Rien n’est moins vrai. C’est le nom d’un champ de bataille tenu avec rage par les Allemands, dans la Somme. C’est celui d’un crime de guerre qui ne dit pas son nom.

Derrière cette intrépide créature, il fallait bien des hommes à la mesure d’Amy. Il y a le Capitaine McKenzie totalement sous le charme de la jeune femme, le brutal Westbrook, prévôt de la 2e division. Un homme difficile à ne pas regarder. « Le côté gauche de sa figure était atrocement déformé : le sourcil avait disparu, la joue était creuse et livide. » Pour Mackenzie, on revenait rarement sur zone après avoir été aussi gravement blessé. Le gradé est en mission spéciale pour le ministère de la Guerre. Et puis il y a le colonel Rhodes, un mythe vivant, l’incarnation du courage, l’homme aux mille exploits. Celui qui avait pris Haslam sous son aile. Que s’est-il passé entre ces deux-là ? « Comme si nous étions des fantômes » est un roman de fureur. La fin de la guerre a été signée mais le sang coule encore parce que la rage des combattants ne s’est pas apaisée. Les survivants sont assoiffés de peur et de rancœur. Une femme vient se glisser dans ce tragique tableau de la victoire, dans cet univers saturé de violence. Qu’est-ce que la paix dans cette atmosphère apocalyptique ? Thriller historique presque graphique, l’ouvrage de Philip Gray nous renvoie à une humanité en déshérence où parfois un être animé d’une grandeur qui le dépasse, nous fait croire l’espace d’un instant, que l’Homme a écarté le Mal.

« Comme si nous étions des fantômes » de Philip Gray, traduit par Elodie Leplat, Editions Sonatine, 496 pages, 23.90 euros.

 

 

 

 

 » On dirait des hommes  » : l’emprise selon Fabrice Tassel

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L’emprise. Physique ou psychologique. Voilà de quoi parle Fabrice Tassel dans son dernier roman à faire dresser les cheveux sur la tête. Radioscopie d’un couple au bord du gouffre. Vertigineux.

Tout commence par la mort de Gaby. Un garçonnet de dix ans emporté par la tempête d’une mer remontée en Bretagne. Le père, Tom Sénéchal, nageur confirmé, a bien tenté de le sauver. En vain. Anne, la maman, est dévastée. Mais surprise, le couple résiste. En apparence. Le lecteur est immédiatement en empathie avec les protagonistes. La perte prématurée d’un enfant, l’épreuve ultime. Chaque parent y a pensé au moins une fois. On en connaît toujours l’issue : l’atomisation de la cellule familiale. Une juge est saisie, Dominique Bontet, un brin rigide, marquée par un procès précédent où elle n’a rien vu venir. Depuis, elle se méfie. Mais les parents explorés ont saisi la justice. Est-ce la faute des autorités portuaires ? La juge les auditionne. Séparément. Le père la fait tiquer. Un peu lunaire, un peu distant. Mais que sait-elle au fond de la perte d’un enfant. Il n’empêche.

Plus loin. A quelques pages et quelques encablures du domicile de Tom et d’Anne, un autre couple, Iris et Le Bihan. Là, les choses sont claires. Le type est un salaud qui bat sa femme. Pas l’ombre d’un doute pour la juge. Elle a creusé, il lui faut maintenant accumuler les preuves. Ce gars-là, elle le veut derrière les barreaux. « Depuis des mois, après l’explosion des féminicides et des plaintes pour agression sexuelle, harcèlement, les hommes, défilent dans son bureau. » Ils nient en bloc. Toujours. Fabrice Tassel n’a pas son pareil pour dépeindre les sentiments des uns et des autres mais surtout la mécanique de pouvoir qui s’installe entre deux personnes, un homme, une femme, une victime et son bourreau.

Mais que faire de cette histoire « Gabriel Sénéchal » ? Le dossier semble simple. Dominique a la réputation de faire des histoires, de chipoter. Ordonnance de classement sans suite? Justement. Un rien, un tout petit rien l’en empêche. L’intime conviction. L’article 353 du Code procédure pénale. Trois femmes dans la tourmente. L’action de la juge se déroule comme au ralenti de façon mesuré, réfléchi. Anne observe sa vie qui est montée très haut avant de redescendre au fond d’un puits noir. Et Iris la subit. De plein fouet. Jusqu’au jour où ces dernières disent stop. Leurs destins se croisent, alors. L’une fera quelque chose pour l’autre. Et Dominique tranchera. Formidable portrait de femmes dont l’existence même est menacée par l’homme. Le compagnon, le mari, l’amant. Reste la justice. Le glaive et la balance. Le dernier rempart ?

 » On dirait des hommes « , de Fabrice Tassel, Éditions La Manufacture des Livres, 283 pages, 19,90 euros.

 

 

 » Dette de sang  » : l’héritage maori de Michael Bennett

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Il n’y a pas tant de polars dont le héros, en l’occurrence l’héroïne, est d’origine maori. Equinox en a repéré un et c’est plutôt bien vu.  » Dette de Sang «  de Michael Bennett traduit par l’écrivain français Antoine Chainas, met en scène l’inspectrice Hana Westerman, une sacrée flic un brin éruptive et qui trimballe des fantômes qu’une série de crimes va obliger à regarder en arrière.

Auckland, Nouvelle-Zélande. Pour Hana, débuter une enquête pour homicide revient à mélanger du sucre avec de la levure. L’activation est instantanée. » Et il vaut mieux. Parce que le tueur semble avoir des messages à faire passer. Premier mort, pendu, les mains attachées par devant, les chevilles entravées. La pendaison a eu lieu post-mortem. Le meurtre pue la mise en scène. Un dessin émerge. Une spirale enroulée vers son point d’origine. Un dessin de sang.

La première victime était un junkie, le deuxième est un promoteur, le troisième, un acteur. A chaque fois, tout semble parfaitement orchestré et à chaque fois, les enquêteurs découvrent le même dessin. Hana enquête, fouille dans la culture maorie. Trouve un recueil de daguerréotypes. Un procédé datant des premiers âges de la photographie. Les images ont été prises par un Anglais envoyé en Nouvelle-Zélande par l’armée britannique.  » Il préfigurait les reporters de guerre. » L’une d’entre elles accroche le regard. Il s’agit d’un prisonnier exécuté en 1860, sur le mont Suffolk, à Auckland, de l’autre côté du port. Les tatouages sont édifiants. Une spirale enroulée vers l’intérieur. Un koru. Hana suffoque. Le mont Suffolk, l’incarnation de sa propre déchirure. Un lieu de la faute originelle, sa faute, ce moment où elle a perdu son âme. Il y a longtemps.

L’inspectrice est en pleine procédure de divorce. Son futur-ex mari est Blanc et aussi son supérieur. Le couple a une fille. La quête identitaire est au cœur du roman. La difficulté d’appartenance. À qui doit-on des comptes? À sa hiérarchie blanche que l’on a tellement voulu séduire ou à ce peuple rongé par la pauvreté, malmené par la vie et crucifié par les statistiques. Hana s’est reniée. Elle le sait. L’heure de vérité approche. Retrouver ce tueur sera pour elle un électrochoc, le début de la rédemption. Michael Bennett nous transporte loin, très loin, dans un monde où l’exotisme a flirté sans faillir avec la cruauté. Où des hommes ont abaissé d’autres hommes. Ce polar néo-zélandais leur rend hommage.

 » Dette de Sang «  de Michael Bennett, Éditions Equinox les Arènes, traduit par Antoine Chainas, 337 pages, 22 euros.

 

 

 

 

« Au bon vieux temps de Dieu » : Sebastian Barry au firmament

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L’homme est tout en longueur. Un géant irlandais vêtu de noir, concentré et déjà ailleurs. Sebastien Barry est un poète en fuite. Rattrapé de justesse par son éditrice française de toujours, Joëlle Losfeld qui publie son dernier roman, Au bon vieux temps de Dieu. Une ode au temps long, au temps qui passe mais qui n’absout pas les péchés. Envoûtant.

Il y eut un drame. Non, plusieurs drames. Une femme, la sienne, June, une fille, Winnie et un fils, Joseph. Tous ont disparu. Prématurément. Des enfants ne devraient jamais mourir avant leurs parents. Ce n’est tout simplement pas dans l’ordre des choses. Mais Dieu, s’il existe, a ses propres desseins. C’est du moins ce que Tom Kettle, inspecteur fraîchement retraité, se dit, au fond bon joueur ou tout simplement peu vindicatif. Il ressemble à certains héros du réalisateur américain Clint Eastwood, et semble mener une relation complexe avec l’au-delà. Mais en Irlande, on ne badine pas avec le Seigneur et ses représentants sur terre. Ces  » putains de prêtres », comme les appelle Tom dans un moment d’effroi lorsque deux inspecteurs, Wilson et O’Casey, frappent à sa porte pour lui demander de l’aide sur un « cold case », un vieux dossier, suivi il y a longtemps quand il était encore lui-même inspecteur. Et Tom le sait mieux que quiconque lui qui en fut,  « La police était comme la mer, pleine du sel de danger ». Il sort trois tasses, la théière. Eux sont venus avec des dossiers. « La paperasse, la pénitence des policiers ». Il s’en souvient comme si c’était hier. Aujourd’hui, c’est son chemin de croix.

Parce qu’il y eut aussi Le Drame. Celui que ces jeunes inspecteurs apportent avec eux. Inconscients de ce qu’ils s’apprêtent à mettre en mouvement. Une vraie tempête. « Je vais vous faire un toast au fromage, annonce Tom, sans enthousiasme. » Il lui faut gagner du temps, il ne veut pas se souvenir, il ne veut pas revenir en arrière. Ce cold case, ce prêtre assassiné. L’énigme du roman se niche dans ces quelques minutes d’une politesse d’un autre temps. On vient solliciter l’ancien et sa mémoire, on vient foutre le bazar. Le romancier Sebastian Barry concède qu’il a mis du temps à imaginer et habiller ce personnage.  » Nous avançons chacun à notre rythme, confie-t-il, justement un peu pressé (un taxi doit le conduire à l’aéroport pour ensuite s’envoler en Irlande). Il y a longtemps, j’ai vu un homme assis qui regardait la mer d’une façon que j’ai trouvée mystérieuse. Mais je ne lui ai jamais parlé. C’est un livre que j’ai mis des années à oser écrire et à 67 ans, je me suis autorisé à imaginer cette histoire. »

Il y eut un policier dans la famille du romancier. Son arrière – arrière grand-père. « Il a été enterré quelque part mais sa famille n’a jamais su où.  » Une énigme familiale que Sebastian Barry  transforme et inscrit dans un contexte historique précis. L’église et l’Irlande, un tord boyau, une infamie, la lettre écarlate inscrite à jamais dans les landes. « Des prédateurs, selon Wilson. L’auteur saute le gué, fragile et tenace. Il sait où il veut nous emmener mais il nous faut respecter son rythme. Lent et vivant. « Je suis un fan de la lenteur. On implique davantage le lecteur.  » Se perdre dans la contemplation quotidienne des éléments était le but ultime pour Tom Kettle. La venue des deux inspecteurs a tout fait tomber par terre. Mais elle lui ouvre les portes d’une rédemption qu’il n’attendait plus. Le temps suspendu de Sebastian Barry ressemble au brouillard irlandais. Tour à tout opaque et lumineux. En réalité, c’est l’éditrice Joëlle Losfeld qui en parle le mieux. Dans une lettre adressée aux journalistes et pour présenter ce roman, elle écrit : « La langue de Barry est enveloppante, extrêmement précise et d’un grand pouvoir d’évocation ». Sebastian Barry est l’un des quatre auteurs majeurs irlandais à avoir été finaliste du prestigieux Booker Prize. C’est encore le cas cette année. Verdict le 26 novembre prochain.

Au bon vieux temps de Dieu, par Sebastian Barry, traduction de Laëtitia Devaux, 252 pages, 22 euros.

 » Okavango  » : Caryl Ferey en alerte absolue

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Caryl Ferey et les chiffres. Plus de vingt-cinq ans de présence dans le domaine du roman policier. Plus d’un million de lecteurs.  300 000 exemplaires pour Zulu. Caryl Ferey et le talent. Constant, précis et comme le bon vin, meilleur en vieillissant. Okavango confirme. C’est le polar incontournable de cette pré-rentrée. D’ailleurs, il figure déjà dans la liste des meilleures ventes.

L’exotisme de la Namibie. La violence de l’Afrique du Sud pays voisin. Racisme, flics corrompus et personnages rôtis au soleil meurtrier de cette partie de la planète. On n’oublie pas l’amour. Brut, compliqué, contrarié et irrésistible. Caryl Ferey maîtrise les éléments narratifs pour mieux les dépasser. Alors, voilà ce que cela donne. Une transaction de dix mille dollars namibiens – environ – 600 euros – entre celui qu’on appelle le Baas et Isra le pisteur de rhinocéros. Son boulot : un simple repérage de nuit dans la réserve de Wild Bunch, moyennant dix jolies petites chèvres. Un pactole, le début de la richesse. On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Pas faux mais c’est justement ce qui inquiète Isra. Il pense aux hommes- lions. Aux mille façons d’échapper à la mort. Il ne comprend pas, il appartient aux Ovambos (les bonnes personnes). Personne ne leur veut du mal.

Mais il existe d’autres hommes avec d’autres plans. Leur plat de résistance : le pétrole, le cobalt ou encore l’uranium. Ou mieux encore ces derniers temps : « l’or à sang chaud », le braconnage. Et l’Afrique australe n’est pas épargnée par ce trafic grâce à d’anciens officiers de l’armée sud-africaine qui ont monté des sociétés de sécurité servant en réalité de paravents à des compagnies de mercenaires. Dans le lot, il y en a qui a tout compris. Rainer Du Plessis, un sale type qui capture les animaux sauvages. Son palmarès est particulier. Il se vante d’avoir dézingué l’intégralité des trois cents rhinos recensés dans le parc Limpopo au Mozambique en 2013. Ce qui lui vaut depuis le gentil surnom de « Scorpion ». Il répond ainsi aux désirs de clients richissimes qui paient des fortunes pour du bouillon aux dés de peau d’éléphants ou encore des cornes de rhinocéros. Et notamment le  Longue-Corne. Celui qui attise toutes les convoitises et qui se trouve dans la réserve de Wild Bunch. Les méchants se mettent à table.

Du côté des gentils, on a N/Kon de la tribu des San et John Latham qui veillent sur une étendue de quatre-vingt-dix-mille-hectares qui sert de sanctuaire animalier fréquenté par des touristes triés sur le volet. Mais depuis quelques temps rien ne va plus. Ils retrouvent des cadavres d’animaux et surtout celui d’un jeune homme, un Khoï, peuple cousin des San. En bord de piste, le corps bouffé par les fourmis sous les yeux effarés des touristes. Braconnage et scène de crime, du grain à moudre pour les Rangers qui sont aussi du bon côté de la barrière. Avec la lieutenante Solanah Betwase et son colonel de mari, Betwase. Tout ce petit monde qui ne s’apprécie guère alors qu’il tend vers le même objectif, va se retrouver obligé à collaborer. L’attraction des contraires. John Latham et la Ranger Solanah, du miel pour Hollywood.

Ce sont des personnages aux dimensions puissantes dans un décor spectaculaire. Titre de ce roman d’Out of Africa, l’Okavango est un fleuve qui traverse la Namibie et le Botswana avant de terminer sa course dans le désert du Kalahari. On plonge au cœur du royaume des bêtes sauvages, on parcourt leur territoire. Caryl Ferey  a choisi son camp. Son livre est un conte pour adultes dans un décor qui fait toujours rêver les tout-petits. Le roi lion, la girafe ou les antilopes. Tous menacés par la cupidité des hommes tombés dans un puits d’insatisfaction stratosphérique. A mille lieux de la sagesse des San.

 » Okavango «  de Caryl Ferey, Éditions Série Noire Gallimard, 527 pages, 21 euros.