« Les Voleurs d’Innocence » : le roman gothique de Sarai Walker

Evidemment que l’on pense aux « Quatre filles du docteur March » ou encore à « Virgin Suicides » de la réalisatrice Sofia Coppola. Il n’empêche. Sarai Walker a su trouver un ton, une voix et a écrit un conte gothique pour petits et grands que l’on n’est pas près d’oublier. Truffé de pièges littéraires, « Les Voleurs d’Innocence » nous transporte dans les années 50 au sein d’une une famille nombreuse, d’un genre particulier. Dysfonctionnelle, dirait-on, aujourd’hui. Où la mort l’emporte toujours.

Deux époques. Aujourd’hui et dans les années 50. Deux lieux, la Californie et la Côte-Est des États-Unis. Là où réside l’aristocratie américaine. Mais pas n’importe laquelle. Celle qui gagne beaucoup d’argent en vendant des armes. Tuer pour assurer la paix.

Le roman s’ouvre donc sur le temps présent. L’artiste Sylvia Wren reçoit une lettre. Une demande d’interview. Une de plus. Elle n’y donne jamais suite parce qu’elle vit quasiment recluse. Mais cette missive est d’une autre facture. L’expéditrice, une journaliste, affirme connaître son secret.

L’auteur change alors d’époque. Nous sommes dans la famille Chapel. Ce n’est pas rien la famille Chapel. Elle pèse lourd dans le paysage capitaliste chez les Yankees. Elle se compose du père, de la mère Belinda et des six filles qui portent toutes des noms de fleurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. C’est l’aînée qui bien malgré elle, va donner le coup d’envoi de ce jeu de massacre. Elle décide de se marier. Belinda, qui sort le moins souvent de sa chambre, affronte le monde extérieur. Et tente ainsi de s’y opposer de toutes ses forces. Mais qui prête la moindre attention aux propos obscurs d’une femme considérée comme dérangée. Personne, hormis Iris. Le drame a pourtant lieu, puis le suivant. La malédiction des sœurs Chapel est née. D’abord, elles se marient, puis on les enterre.

Iris a survécu. Elle est devenue Sylvia Wren. Une artiste riche mais dont personne ne connaît le visage. Elle vit avec une femme. Jusqu’ici, elle a toujours évité de se pencher vers son passé. Cette journaliste intrusive vient tout bousculer. Et l’obliger à refaire le chemin de sa vie en sens inverse. Quitte à déposer les armes. Et achever la malédiction.

L’auteur y va franco. La maison des Chapel ? Un gâteau de mariage. Il y a bien un petit aspect tarte à la crème dans la profusion des détails, des adjectifs, des descriptions. Le roman ressemble à une barbe à papa truffée de clous de girofles. Parce que Sarai Walker ne dédaigne pas les codes du roman de l’horreur. Lorsque Aster meurt dans des convulsions atroces et une forte quantité d’hémoglobine, on oublie vite fait les dentelles, les froufrous et les tenues de ces jeunes filles. On plonge dans le grotesque.

Mais un conte reste un conte. Il comporte un message. Le mariage est ici associé à l’au-delà. Malheur à celle qui s’imagine voler vers la liberté en épousant le premier venu. Les filles font des études qu’elles abandonneront aussi sec dès qu’elles trouveront un mari. On ne leur demande pas d’être vulgaire et de travailler. Leur futur est d’enfanter et d’attendre l’époux le soir venu. Sarai Walker décrit à la loupe de la condition féminine d’un certain milieu social. Celui des ultra – riches. Femmes à l’avenir corseté, prisonnières de codes patriarcaux, l’argent ne les aide pas davantage. Si ce n’est à mourir à petits feux, la manucure parfaite et la coiffure impeccable. Sarai Walker semble s’être amusée à imaginer cette histoire. Nous, on s’est régalé à la lire.

« Les Voleurs d’Innocence » de Sarai Walker, traduit par Janique Jouin-de Laurens, Editions Gallmeister, 621 pages, 26.40 euros.

 

 

 

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