« L’Italien » de Arturo Pérez-Reverte : des héros méconnus

Il est sans doute l’une des personnes les mieux placées pour parler de la zone grise. Celle où des hommes et des femmes ne se conduisent ni bien ni mal. Celle où les choix définissent une personne. Parfois contre toute attente. Arturo Pérez-Reverte signe un roman de guerre et d’amour pendant le Seconde Guerre mondiale entre Algésiras en Espagne et le rocher de Gibraltar. Une histoire basée sur des faits réels transcendée par un écrivain habité par son sujet.

C’est un récit peu connu qui lui fut raconté par son père et empreint d’une certaine morale : les héros se cachent pour mourir. Cette fois, ce sont des Italiens, des bombes humaines envoyées comme des torpilles sur les bateaux ennemis qui mouillent dans le port de Gibraltar. Des fous pour certains, des hommes courageux pour d’autres. Arturo Pérez-Reverte n’a pas choisi la facilité, il prend le lecteur à rebrousse-poil. Il nous agace souvent. Ces Italiens, des héros ? Vraiment ?

Elena Arbues ne se pose pas la question. Elle voit cet homme encore vivant mais mal en point sur le rivage. « L’étrange Ulysse sorti de la mer, vêtu de caoutchouc noir, saignant du nez et des oreilles. » Elle le récupère et l’emmène chez elle. Le soigne. Passe un coup de fil. Mais ne prévient pas les autorités. Comme si elle savait, comme si elle anticipait le chemin que prendrait son cœur. Il s’appelle Teseo Lombardo, 2° Capo Regia Marina. Puis il disparaît de sa vie, pendant soixante-quatre jours.

Teseo Lombardo appartient à un groupe de plongeurs de combat italiens qui s’infiltrent par la mer dans le port de Gibraltar à dos de torpille auto-propulsées, pour déposer des charges explosives sous les bateaux ennemis. Un maiale en Italien. Une guerre occulte et silencieuse menée par des soldats qui ont choisi leur camp en 1943 quand le maréchal Badoglio capitule devant les Alliés. Les commandos sous-marins italiens se divisent alors en deux : il y a ceux qui suivent les Alliés et les autres qui demeurent fidèles à l’engagement avec les Allemands. Arturo Pérez-Reverte aime les nuances. Il rappelle que tous n’étaient pas partisans du Duce, de Mussolini. Pour eux, il était davantage question d’honneur, celui de leur pays, l’Italie. Et c’est exactement la motivation première de Teseo Lombardo, le Vénitien volontaire de la dixième flotte, membre du groupe Orsa Maggione, l’escadrille du dernier quart de lune en embuscade à Algésiras face aux marins de la Royal Navy.

Le romancier a été journaliste, correspondant de guerre pendant plus de vingt ans. Il enquête et magnifie. Il s’appuie sur des faits et en imagine. Pourquoi Elena participe-t-elle à ces opérations de sabotage ? Par amour, par goût de l’aventure, par revanche. Son mari est mort au cours de l’attaque contre la Marine française à Mers-el-Kébir, tué par les Anglais. Le romancier/journaliste la retrouve et l’interroge. Elle se dérobe. Vérité, fiction, il alterne. Interroge, s’interroge. Ces Italiens, des héros ou des salauds ? Il décèle une lueur de défi chez Elena. Il se tourne vers les Anglais, vers le fils de Alfred Campello qui fut le chef de la Security Branch à Gibraltar, un homme puissant, redoutable et cruel. Un homme dans la zone noire où tout lui fut permis, en toute impunité. Lui-même père, il a raconté à son fils que les Italiens avaient la réputation d’être de piètres soldats. Puis a immédiatement nuancé :  » Un jour, je te raconterai de quoi ils étaient capables. »

De se sacrifier de la pire des façons. Juchés dans l’eau noire sur des engins de mort, kamikazes aquatiques avec très peu de chances de survie. Seuls les plongeurs de combat, les marins, peuvent comprendre, semble penser l’écrivain. « Que l’Italie soit une catastrophe en s’habillant avec ce clown de Mussolini, c’est une chose, qu’il y ait des Italiens courageux, prêts à tout, aussi patriotes que les Anglais, c’en est une autre. » Arturo Pérez-Reverte n’a pas de doute. Il a trop longtemps parcouru les zones grises pour savoir que l’ héroïsme est toujours rouge. Comme le sang, celui des hommes qui meurent fidèles à leurs idées. Parfois patriotes à leur façon.

 » L’Italien « , de Arturo Pérez-Reverte, traduit de l’Espagnol par Robert Amutio, Éditions Gallimard, 448 pages, 24 euros. 

 

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