« On n’est plus des gens normaux » de Justin Morin : quand tout bascule

Leur fille est morte. Mais leur couple n’a pas implosé. Il s’est même renforcé. Sous la plume pleine de tact de Justin Morin, « On n’est plus des gens normaux » raconte un drame. Celui d’une voiture lancée volontairement à pleine vitesse sur la terrasse d’une pizzeria. Une famille ordinaire commence son repas. Elle ne l’achèvera pas.

À ce moment très précis, Angèle 13 ans, est assise à côté de ses deux frères, Nikola, dix-sept ans et Dimitri, quatre ans. Toute La journée, ils ont aidé leur mère Betty, à ranger le bazar dans le jardin. Le restaurant devait être la récompense. C’est Sacha qui voit la BMW. Betty est de dos, elle l’entend. « L’espace-temps avant le choc est infime et infini à la fois. » Il y aura des dizaines de blessés, cinq en urgence absolue, dont Angèle. Betty l’a compris. Elle court vers Sacha et lui glisse : « On va perdre notre fille. »

Nous sommes le 14 août 2017, dans la commune de Sept-Sorts, il est 20 h 10. Ce fait-divers est suffisamment violent pour que la presse nationale s’en empare. Attentat ? La piste est abandonnée. P voulait se suicider. « Avec une ultime manœuvre, il s’est positionné dans l’axe du restaurant. Une voiture, c’est une arme, et quand on l’envoie sur des gens ça fait des dégâts, ça aussi il l’a dit aux gendarmes. » Alors, il a accéléré. Quand il a échoué à mourir il a voulu vivre. Il n’a opposé aucune résistance. C’étaient les gendarmes ou la populace prête à le lyncher.

Le récit s’appuie sur la couverture du procès par Justin Morin envoyé couvrir l’événement pour la radio qui l’emploie. D’emblée Betty l’impressionne. D’emblée, Sacha l’intimide. Il tente de lire en eux. Plus tard, lorsqu’il apprendra à les connaître, ils lui diront qu’il y avait de la fureur dans leur cœur. Qu’ils ne pouvaient qu’attendre et essayer d’attraper le regard de l’assassin de leur fille.

Justin Morin écoute. La voix du gendarme qui a recueilli les premiers mots de l’accusé à qui il apprend qu’une jeune fille est morte. « C’est dommage ». Celle du légiste qui a cartographié le corps d’une adolescente de treize ans. Celle de cet homme ravagé par l’impuissance. Cet inconnu propulsé dans un trou noir où une jeune fille meurt sans qu’il ait pu et encore moins dû la sauver. Les victimes défilent à la barre. « Elles semblent s’exprimer d’une seule voix. » Justin Morin entend. La sœur de P. Ce drame était-il un accident lui demande l’avocat de la famille d’Angèle. Oui. Il entend le oui. Il entend que l’on n’abandonne pas son frère, fut-il un monstre.

Justin Morin a quitté la radio. Mais il est enchaîné à cette histoire. Il veut la prolonger. Comment ? Il ne sait pas encore. Il rencontre Betty et Sacha, ne leur cache rien, leur dit qu’il va aussi parler à Lisa, la sœur de P. Qui ne veut rien savoir. Alors, il l’imagine, il délaisse le réel pour la fiction. Il la revoit lors du procès avec son petit carnet noir qu’elle remplit avec frénésie. Leur enfance, la séparation des parents, l’alternance, la cabane au grenier chez la maman où ils veulent désormais résider en permanence. Il dresse des profils, la mère larguée, le père dépressif, la sœur rassurante et le frère timide, solitaire, petit oiseau fragile. L’artifice littéraire au service de la compréhension. Comment, pourquoi P a-t-il fait ça ? Il s’excuse, sa repentance est prise de haut. Un bon acteur selon Sacha. Justin Morin est allé bien au-delà de ce drame de la route. Il nous fait découvrir un couple d’une noblesse solaire qui ne cache ni sa haine ni son amour. Betty et Sacha, vivants, avec leurs enfants. Une famille amputée, endeuillée sous le regard d’un jeune journaliste fauché par un procès qu’il allait couvrir de façon mécanique. Et qui l’a transporté au-delà de tout. À la rencontre de gens peu ordinaires.

 » On n’est plus des gens normaux  » de Justin Morin, Éditions La manufacture de livres, 247 pages, 16,90 euros.

 

 

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