« Beyrouth Forever » de David Hury : plus que jamais d’actualité

Tout de suite, là comme ça, dès les premières pages du roman, on ne peut pas dire qu’il soit très sympathique l’inspecteur Marwan Khalil. Le policier attend sa retraite avec impatience et on se dit qu’il est temps en effet qu’il raccroche les gants tellement le monde qui l’entoure l’insupporte. Évidemment, on a tort.

« Beyrouth forever » est le quatrième roman d’un fin connaisseur du pays, le journaliste et photo-reporter David Hury. Écrit avant les bombardements israéliens sur le Liban, eux-mêmes consécutifs de l’attaque du Hamas contre l’État hébreu, le 7 octobre dernier, la portée de ce roman policier prend une allure plus tragique que distrayante. Et le personnage de ce flic bourru, revenu de tout et sectaire, suscite un intérêt décuplé. Comment ce pays en est-il arrivé là !

Mais revenons à l’intrigue policière. Une universitaire de renom, une vieille dame têtue comme une mule, est retrouvée morte chez elle, au quatrième étage d’un immeuble que l’auteur qualifie de façon quelque peu surannée, de « bath ». L’inspecteur Marwan Khalil est flanqué d’une jeune équipière de 24 ans, dont il se passerait bien Ibtissam Abou Zeid, chiite voilée et French manucure irréprochable. Parce que quitte à travailler avec un musulman, selon Marwan, autant que ce soit un homme. « il y aurait toujours un moyen de discuter autour d’un verre et de se serrer la main à la fin ». Pas politically correct l’inspecteur, c’est peu dire. Pour la hiérarchie, l’affaire n’a aucun intérêt et veut qu’elle soit classée le plus vite possible. Marwan ne l’entend pas de cette oreille. Parce que rien ne colle sur cette scène de crime. Ou plutôt tout, justement. Pour lui, ce n’est pas un suicide mais bel et bien un meurtre. Il le sent.

La victime s’appelait Aimée Jean Asmar. Chrétienne née le 15 octobre 1946, à Ras Beyrouth, à l’ouest de la capitale, dans un quartier musulman, cela se remarque. La géographie des lieux est d’une importance primordiale dans ce pays ravagé par des années de guerre, et qui subit encore une fois les coups de boutoir de ses voisins. La confession est aussi déterminante. Une chrétienne née chez les musulmans. Une historienne à la retraite de 77 ans qui travaillait sur un ambitieux manuel scolaire, l’Histoire unifiée du Liban. Dans le contexte local, une très bonne raison de mourir.

On suit ainsi les tâtonnement de l’enquête avec cet inspecteur cash du collier. Le gardien de l’immeuble où e eu lieu le drame (à ce stade) est syrien. Ah oui, ces fichus Syriens. « Cela fait douze ans que la guerre a commencé chez le voisin syrien, douze ans que les réfugiés pullulent sous des tentes dans la plaine de la Békaa… Il est temps que cela cesse, le pays ne peut accueillir toute la misère du monde. Même s’il le fait depuis le péché originel de 1948. C’est le prix à payer pour avoir perdu la première guerre contre Israël. La seule qu’il n’aurait jamais fallu perdre ». Jamil Chakar, le chef de Marwan, avec qui il entretient une relation pour le moins compliquée, aime bien le profil du Syrien. Parfait candidat à la culpabilité inattaquable. Mais Marwan s’obstine.

Et il trouve dans cette quête de la vérité, une alliée inattendue, la jeune Chiite bien décidée à honorer ce métier qui l’a toujours fait rêver. En réalité, au-delà de l’intrigue qui sert à expliquer le bordel historique du pays, Ibtissam est presque la clé de l’ouvrage. Surtout en ce moment, avec la perception erronée que peuvent avoir les Occidentaux envers cette branche de l’islam. Même Marwan est gavé de clichés. « Faut pas croire que tout le monde est pro Hezbollah, lui explique la jeune femme. Dans ma famille, comme tant d’autres, il y a deux camps. Du côté de ma mère, on m’a raconté que mon oncle Hussein a été assassiné par le Hezbollah en 1987. Il était communiste. Cette histoire a toujours divisé la famille ». Marwan se dit qu’il a peut-être jugé un peu trop vite son adjointe voilée.

Les rapports avec sa hiérarchie se dégradent à la vitesse grand V. L’amitié torturée qui le lie à son chef sert à expliquer le Liban d’avant et de maintenant. En d’autres termes, elle ne peut que mal finir. Parce qu’au Liban, rien ne peut se lire autrement que par son appartenance confessionnelle ou par les alliances que l’on choisit d’avoir tout au long de sa vie. Mona, une potentielle suspecte, n’échappe pas à cette équation maudite. Le roman a été écrit avant la chute de Bachar al-Assad. Marwan haïssait le gouvernement syrien. On imagine qu’aujourd’hui il se frotte les mains. Les deux ennemis du Liban, le Hezbollah et la dynastie Assad ont été décapités. Reste les autres.

« Beyrouth Forever », de David Hury, Éditions Liana Levi, 295 pages, euros.

 

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