« Rebecca. Dans l’ombre d’Hollywood » de Michel Moatti

Un bonbon sucré salé. Le dernier livre de Michel Moatti se déguste lentement avec un plaisir coupable. Celui de pénétrer en zone interdite, dans la vie privée des stars de cinéma. « Rebecca, dans l’ombre d’Hollywood”, relate le premier tournage américain du géantissime Alfred Hitchcock et de sa fascinante et ténébreuse Mrs Danvers.

On a toujours envie de connaître le dessous des cartes ou l’envers du décor. Au fond, qui savait à l’époque que la bouillonnante Vivian Leigh dans « Autant en emporte le vent » souffrait de sérieux problèmes psychologiques. Ou que Joan Crawford, méchante comme une teigne, couchait à peu près avec tout le monde si cela pouvait servir son insatiable méchanceté et nuire ainsi à tous ses ennemis, la liste étant sans fin. Non sans une pointe de sadisme sophistiqué, l’auteur a fouillé les tiroirs de la machine à rêves de Los Angeles et en a sorti tous les gossips possibles, afin de nous raconter l’histoire revisitée de l’adaptation du roman de Daphné du Maurier par le maître du suspense, lui-même, l’Anglais rondouillard Alfred Hitchcock.

Le cinéaste connaît les ficelles de la peur. La reconstitution d’une époque, 1939, ne pose aucun problème. Le manoir de Manderley, effrayant et situé en bord de mer, non plus. La fabrication de la défunte, Rebecca, que l’on ne voit jamais, n’est pas non plus un souci. Le veuf ambigu, Maximilien de Winter, sous les traits de Sir Laurence Olivier, évident. Le visage de la nouvelle épouse naïve et gauche relève déjà d’un plus grand défi. Toutes les stars de la Mecque du cinéma veulent le rôle. Y compris les deux sœurs, Olivia de Havilland et Joan Fontaine. C’est cette dernière qui l’emporte. Trouver une gouvernante toute vêtue de noire, rigide et malveillante, Mrs Danvers, ça c’est l’affaire personnelle du maître Hitchcock. Elle sera le point névralgique du film, il la veut ombre géante et terrifiante. Il la veut envahir le corps du spectateur, comme tétanisé. Ce sera Judith Anderson. C’est par sa voix que ce récit pour grandes personnes nous est conté. L’actrice dont ce fut le seul et unique grand rôle, se rappelle un tournage hanté par la folie et perturbé par une série de meurtres de jeunes femmes inexpliqués dans West Hollywood. « Parce que Rebecca cachait un récit criminel que les grands studios avaient soigneusement dissimulé pendant des décennies ». Le déroulement du film en est affecté. Les journaux baptisent cette sinistre série « L’affaire du Nocturne ». « Les meurtres furent une sorte de casting parallèle aux films qui se tournaient alors entre Sunset Boulevard, Studio City et Culver. Une métaphore du système fabriqué par l’industrie américaine du cinéma ».

Le romancier a écrit un script à sa mesure. Dont le but est de nous perdre en route, de nous faire douter de la réalité. Et le résultat est là. Magistral. Le mystère dans le mystère. Des victimes et un assassin. Oui mais lequel ? Judith Anderson enquête. Ces incidents pour ne pas dire ces tentatives d’assassinat à l’encontre de Joan Fontaine ou même contre elle ? Ne serait-ce pas l’œuvre de son ami, si tant est que l’on puisse en avoir un dans cet univers de faux-semblants, Sir Laurence Olivier ou bien encore Conrad Nagel, acteur, « un bellâtre en perte de vitesse ». Ou pourquoi pas Vivian Leigh en personne. Après tout, n’est-elle pas folle à lier. La pellicule de Michel Moatti se dédouble. On est à Manderley avec Mrs Danvers, ombre menaçante devant une Madame de Winter, terrorisée. « Oh, vous avez touché à ses brosses n’est-ce pas ? » La peur s’installe sur le plateau. Mais on est aussi hors champ avec la comédienne Judith Anderson qui doit tourner la dernière scène de Rebecca. Fait inhabituel, une voiture du studio vient la chercher à son domicile et la conduit à Culver où deux robes l’attendent. L’une d’elle doit prendre feu sans pour autant la brûler. Las. Manderley reconstitué prend feu et la robe avec. « J’ai compris…Rebecca n’était pas seulement un film. Un drame psychologique à la sauce hollywoodien qui raconte l’histoire d’une femme et d’une maison hantée. Rebecca serait un testament. Celui de « L’âge d’or d’Hollywood ». Le film de Michel Moatti est comme de la dentelle où s’entortillent des femmes sublimes et perdues dans les profondeurs d’une célébrité convoitée. Quitte à en payer n’importe quel prix. Qui se souvient de ces faits-divers sanglants où artistes et starlettes sont retrouvées mortes ? Mais on n’oubliera jamais Mrs Danvers. Longue vie à Hollywood.

« Rebecca. Dans l’ombre d’Hollywood », de Michel Moatti, Éditions Hervé Chopin, 238 pages, 19.50 euros.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.