« Cartel 1011, Les Bâtisseurs » de Mattias Köping : OPA tous azimuts dans le trafic de drogue

Vous ne vous sentez pas bien ? Vous vous précipitez sur les dernières informations relatives au Fentanyl en Europe, avec la boule au ventre ? Normal. Le premier tome d’une trilogie à venir de Mattias Köping, « Cartel 1011, les Bâtisseurs », ne peut que vous mettre dans cet état de sideration absurde et angoissante. Le tableau que le romancier dresse du trafic international de la drogue est tellement monstrueusement crédible que ceux qui ont des enfants en bas-âge, ne peuvent que pousser un soulagement de répit. Pour les autres, j’ai bien peur que cela ne soit déjà trop tard, vu l’état de désolation spirituelle des Occidentaux.

Tout part du Mexique, dans la péninsule du Yucatan, dans l’État du Quintano Roo. La classe moyenne américaine s’y prélasse en masse chaque hiver dans les villes de Cancun ou de Playa del Carmen. Les autres, les riches et les jet-setters du monde entier qui migrent par grappe à chaque saison, choisissent plutôt Tulum, le Saint-Tropez local, version palmiers et tequila. Ça, c’est pour la carte postale. L’envers du décor vaccine à tout jamais d’y passer des vacances. Mais à la limite, peu importe. Le groupe de la COMEX, propriété de la famille Hernandez, elle-même originaire du Yucatan et qui pèse lourd, très lourd dans l’économie mexicaine, a fait main basse sur tout ce qui rapporte dans le coin. L’empire des Hernandez s’apprête à lancer le chantier titanesque du train Maya, projet dévastateur sur le plan  écologique, selon les ONG locales. Si la direction fréquente le gratin mondial et présente un front bien propre sur lui, les lieutenants ne sont pas forcément les plus sortables. L’auteur présente un tropisme gros méchants certain. Et il y en a un paquet dans son super roman. Du plus glamour à l’affreux psychopathe ou junkie édenté, il y en a pour tous les goûts.

Un mystérieux groupe est en train de transformer le territoire en sous-traitants des abattoirs locaux. Il signe 1011 sous forme de chiffres et de lettres, sur le corps de ses victimes ensanglanté et sème une terreur calculée vertigineuse. Si tant est que ce soit encore possible dans un pays devenu un Narco-État et où croiser des cadavres relève d’un quotidien désormais banal. Surtout lorsque les têtes enfoncées sur des piques jalonnent souvent les bas-côtés de la chaussée. Le Mexique est un mouroir gigantissime à ciel ouvert. Des gens disparaissent sans laisser de trace, le nombre de féminicides est stratosphérique, en bref, ce pays d’Amérique latine part en sucette.

La misère des uns fait la fortune des autres. Le trafic de drogue, ce nerf d’une guerre perdue d’avance par des démocraties occidentales en perte de vitesse parce que rendues aveugles faute de vision politique nouvelle, rapporte des milliards. Leurs chefs savent parfaitement lire et compter. Cela n’a pas échappé au cartel 1011 que le grand gagnant du œuvres caritatives de la fondation de la COMEX, un gamin issu de milieu défavorisé, vient d’obtenir un Master de chimie pharmaceutique. Il s’appelle Miguel Guerrero Garcias. Il n’aura pas le temps de savourer son diplôme, il est kidnappé à la fin de la cérémonie et envoyé en Hollande où l’attend un laboratoire digne des plus grands centres de recherches expérimentales. Outre l’enlèvement, les lascars ont utilisé les méthodes de persuasion habituelles. “Ou tu nous suis, ou ta fiancée y passe”. Ce que ne sait pas Miguel, c’est que de toute façon qu’il obéisse ou pas, la demoiselle est destinée à finir dans les bordels les plus sordides du coin.

Voilà, on a le chimiste. On a des toxicos de base avec le couple batave Rik et Neeltje qui distribue tout un tas de pilules dans les soirées techno pour fils de petits bourgeois. Mais on a aussi,  et là le roman devient hypnotique, le déroulé d’une prise de pouvoir, d’une OPA inamicale façon trafiquants de drogue sur un marche déjà saturé de substances toxiques en tout genre. Et on n’est pas déçu.

Il y a les plus clean, les brokers ou les avocats. Ils sont les ambassadeurs du cartel émergeant avec pour mission de monter des partenariats locaux aux quatres coins du globe comme avec la Cosa Nostra, la Hache Noire nigériane ou encore la ‘Ndrangheta. “ Leurs activités étaient aussi soutenues que celles de n’importe quel plénipotentiaire d’un véritable État. Ils étaient bardés de diplômes, ne se draguaient pas et n’avaient jamais tué personne, du moins pas directement. Mais leur parole valait arrêt de mort. Les attachés-cases étaient plus efficaces que les Kalachnikovs”.

Comme cet avocat en droit international, Paolo Conti, du Studio Legale Associato Conti e Del Sarto. Un faux nom, bien évidemment. Il est la vitrine légale des marchands de rêves pourris, le bras armé de la lessiveuse, permettant au moyen d’achats et de reventes légaux, que l’argent injecté dans les banques ressorte plus blanc que blanc à la fin du cycle. Et le criminel au costume trois pièces sait y mettre les formes. Il prévient toujours : “ Si vous me tuez, les conséquences seront lourdes, y compris pour vous. Mais je préfère être tué par vous que par eux “. Son interlocuteur du moment, Don Fabrizio, Le Roi de la Neige napolitain regarde les images défiler sur le téléphone. Décapitations, émasculations ou encore égorgements, les méthodes raffinées de ce nouvel arrivant sur le marché de la dope ont le pouvoir de le convaincre. Il fera affaire.

Ce n’est pas ce que Long Boy de Liverpool a choisi de faire. La balle de son Walter atterrit en pleine tête de l’émissaire du 1011. Grossière erreur. Les prédictions de l’étrange visiteur se réalisent. Son ex-femme et sa fille sont torturées et violées, et Bugsy, élément essentiel de son empire à la dérive, est retrouvé en petits morceaux, avec des signes cabalistiques gravés sur la peau. Parce que ce qui compte et reste, ce sont les messages. Deux gars, en particulier, deux sicarios mexicains, grands amateurs de narcocorridos, sont payés pour les faire passer. “ Ruben et Diego ne participaient pas aux négociations : ils n’étaient chargés que de ceux qui devaient mourir “. Ils sont frustres, basiques et appliqués dans leur job et leur logistique est  impressionnante. “ Ils savaient que le 1011 avait des cadres en Europe. Mais le réseau était pensé à la manière des cellules terroristes. À chaque meurtre accompli, ils recevaient les coordonnées de nouvelles planques et des fiches complètes sur les victimes suivantes : photographies, descriptif détaillé des habitudes, adresses, entourage etc… Les consignes étaient strictes : une mise en scène macabre, toujours la même, et l’élimination des témoins éventuels seulement si nécessaire. “

Et ils font leur petit effet avec leur protocole sanglant. Les polices d’Europe hallucinent. Jamais elles n’auraient cru que les méthodes d’Amérique du Sud seraient importées sur ce bon vieux continent. Europol se met en mouvement. Les meilleurs des flics y sont représentés. Le constat est dramatique. Le 1011 a mis un terme à un code de bonne conduite qui jusqu’ici privilégiait la discrétion. II fait savoir qu’ils prennent le pouvoir, comme là-bas au pays, au Mexique. Mais qui dirige 1011 ? Mystère. Que veut dire 1011 ? Tout autant une énigme. On entrevoit à peine leur modus operandi.

Avec ce nouveau roman, Mattias Köping, qui bénéficie déjà d’une bonne côte dans le monde des aficionados du roman noir, rejoint direct le sommet des temples mayas. « Cartel 1011, Les Bâtisseurs », est aussi intelligent que violent, informé et précis. Les personnages sont plus fantastiques les uns que les autres, chacun dans leur genre. Un shoot littéraire, tristement prémonitoire et dont la descente va faire très mal.

« Cartel 1011, Les Bâtisseurs », de Mattias Köping, Editions Flammarion, 623 pages, 23 euros. 

 

 

 

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