« En attendant le déluge » de Dolores Redondo : une femme qui aime les tempêtes

Il pleut toujours beaucoup dans les romans de Dolores Redondo. « En attendant le déluge” » n’échappe pas à la règle cardinale de la romancière. À la poursuite d’un tueur en série, l’inspecteur Noah Scott Sherrington débarque de Glasgow à Bilbao dans le Pays basque espagnol. À quelques jours de la Semana Grande, à quelques jours de la grande inondation qui engloutit la ville en 1983. Une catastrophe climatique, véritable métaphore de la fin d’un monde, celui de personnages troubles et troublants.

Une obsession et un résultat. L’enquêteur Noah Scott Sherrington a eu raison contre tous. Au terme de quatorze ans d’obstination et de quasi-déraison, il est sur le point de mettre John Clyde, surnommé Bible John par la presse écossaise, hors d’état de nuire. Mais alors qu’il lui a déjà passé les menottes, le policier s’écroule. Raide, mort. Dolores Redondo a délaissé l’inspectrice Amaia Salazar de sa célèbre « Trilogie du Baztan » et s’est inspirée d’une histoire vraie. Trois femmes furent tuées entre 1968 et 1969. Jeunes et brunes, elles fréquentaient la discothèque Barrowland. L’affaire ne fut jamais résolue et le pays vécut sa plus grande chasse à l’homme de toute son histoire criminelle. En 1983, la toute jeune Dolores Redondo n’a pas connaissance de ce fait divers lorsqu’elle descend du train à Bilbao. Elle vient en vacances et la ville a été détruite par les eaux. Mais les images de ce désastre vont rester gravées dans sa mémoire. Elle mettra trente-neuf ans à écrire cette fiction en partie inspirée d’une double réalité.

L’inspecteur a survécu. Récupéré par des braconniers qui passaient par là, il est conduit en toute urgence à l’hôpital où il est littéralement ressuscité. Mais pas pour longtemps lui expliquent les médecins. Souffrant d’une cardiomyopathie, il n’a que quelques mois à vivre. Sa seule chance : une transplantation cardiaque. Mais dans ces années-là, l’opération n’est pas encore très au point et les toubibs de l’hôpital le laissent partir avec une ordonnance de médicaments à prendre en attendant une fin certaine.

Bible John est un drôle de psychopathe. Sa première victime espagnole, il l’a ratée. « Les plaintes de cette fille lui taraudait le cerveau comme une perceuse, leur écho observant le mortifiait. » L’horloge interne du bonhomme s’est déréglée. À croire qu’une fois sorti de sa zone de confort – l’Écosse -, il n’en loupe pas une et multiplie les erreurs. Il a pris une nouvelle identité, il s’appelle désormais Murry. Il aime bien sa nouvelle personnalité. Il se sent renaître. Loin de sa famille, des femmes de sa famille. Noah quant à lui, n’a rien dit à sa hiérarchie, après tout il est moribond, et a suivi son instinct. Il est venu à Bilbao, convaincu que Bible John s’y est réfugié. Il pressent que les deux cités se fondent dans l’esprit perturbé du tueur. Il n’a pas tort, les disparitions de jeunes filles commencent à faire la Une des journaux. Il fait connaissance de L’ertzaina (gardien)  Mikel Lizarso, policier idéaliste. Ce dernier est très fier d’appartenir à l’Ertzaintza, la nouvelle police autonome du Pays basque, prête à apaiser les tensions que subit la population face à la police d’État. Une information a circulé depuis quelques jours : une rencontre entre l’IRA (Irish Republican Army) et l’ETA (Patrie basque et liberté) est dans les tuyaux. Avec son optimisme acharné, Mike rappelle Noah à ses débuts. Une amitié s’installe. Mikel l’initie à la tradition du txikiteo qui consiste à aller de bar en bar, boire des petits verres de vin et engager la conversation avec tout le monde. L’inspecteur écossais se fait violence. Surtout lorsqu’il découvre Maite. Mais « pas facile de mener une enquête quand on sait que l’on va mourir bientôt à cause d’une cardiomyopathie et que l’on s’effondre tous les quatre matins. Le candidat idéal pour une transplantation cardiaque. Je vais mourir, je cours après un tueur en série et je suis tombé amoureux pour la première fois de ma vie. Admet qu’il y a là de bonnes raisons d’aller voir un psy. »

Dolores Redondo a vendu plus de deux millions de livres et « Baztan » a été adaptée et diffusée sur la plate-forme Netflix. Elle fait partie de cette vague d’écrivains de romans policiers régionaux comme l’a parfaitement décrypté Émilie Guyard, maître de conférence à l’UPPA, spécialiste de l’Espagne et de son polar. « Pendant très longtemps, le polar espagnol se déroulait à Madrid ou Barcelone, puis il y a eu un mouvement de décentralisation et il s’est implanté dans des régions périphériques, et notamment dans le Pays Basque et la Navarre. C’est devenu un polar rural mais avec une mise en avant du patrimoine culturel local. » Si l’intrigue est classique, un tueur en série et un inspecteur pugnace et attachant, la romancière sort encore une fois (après Katrina aux USA) de cette territorialité qu’elle affectionne mais comme pour mieux y revenir. Les éléments de dramaturgie restent les mêmes : la tempête et l’eau comme s’il n’existait aucun endroit sûr, comme si la nature était partout la même : déchaînée, plus forte que l’homme. On patauge dans cette ville espagnole basque, les cadavres flottent, on passe de café en café comme ces Britanniques, Anglais, Écossais et Irlandais, meutes prémonitoires d’un tourisme de masse à venir. Les flots engloutissent les hommes et leurs espoirs. Pas tout à fait. Noah, Noé, une arche invisible aux pulsations cardiaques au ralenti mais bien vivantes.

« En attendant le déluge » de Dolores Redondo, traduit de l’Espagnol par Isabelle Gugnon, Éditions Gallimard Série Noire, 560 pages, 21 euros.

 

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