« La Contrée obscure » : la chevauchée épique de David Vann

Aussi sanglant que Game of Thrones. A ceci près que les faits sont véridiques. Dans les années 1500, les conquistadors espagnols s’en sont donné à cœur joie dans leur croisade délirante ayant pour but de christianiser les peuples autochtones tout en leur piquant leurs terres au passage. Épopée gore et sous tension, « La Contrée obscure » de David Vann éclaire encore un peu plus toute l’étendue du talent de l’écrivain américain. On reste suffoqué par l’arrogance cruelle et stupide des protagonistes qui ne se lassent pas de considérer les indigènes comme de sombres crétins bariolés.

Classique mais efficace, l’introduction rapide d’un personnage à cheval entre ces deux mondes, Juan Ortiz, capturé douze ans auparavant, ayant connu les pires souffrances mais toujours vivant. Un noble de Séville qui voulait être chevalier et qui avait embarqué à bord d’un navire en route pour des terres inconnues. Il finira à La Florida, un coin de rêve pour toutes les bestioles surdimensionnées que l’Espagne a la chance de ne pas abriter. Mais surtout, Ortiz va servir de go between entre les « sauvages » et Hernando de Soto, un mégalo narcissique, qui aspire lui-aussi à ce genre de grandeur et qui, mandaté par le roi Charles Quint, vient de fouler le sol de La Florida dont il se proclame d’emblée gouverneur.

Un territoire où il espère trouver de l’or et des esclaves. La folie à l’état pur. « Rien dans ce nouveau monde ne nous arrêtera, déclara d’une voix forte, de Soto. Les soldats du Seigneur ne peuvent être vaincus ». La preuve : l’homme est face à un lézard géant qu’il se doit d’occire, lui Hernando de Soto d’Estrémadure, Gouverneur de Cuba et marquis de la Florida. Il empale le monstre sous l’œil effaré de ses hommes. Mais ce que ces derniers ne voient pas, c’est l’entrejambe du pantalon trempé caché sous l’armure. « Dieu soit loué pour ce cadeau », pense-t-il.

En parallèle, un autre récit. Celui de la famille Cherokee constituée des parents, d’un fils et de l’Enfant Sauvage. Ce dernier, le père et la mère n’en veulent pas. Il n’est pas le fruit de leurs entrailles. Un conte d’apprentissage cruel que l’on pense relier au fil des pages au périple des envahisseurs. On s’attend à ce que les deux histoires, à défaut de fusionner, se superposent à un moment ou un autre. Eh bien, non. A croire que ce sont même des aimants inversés. En réalité, les deux aventures servent de démonstration à l’auteur, lui-même descendant de la tribu indienne des Cherokee. Rien ne peut forcer des hommes à se parler lorsqu’ils s’y refusent. L’absence de communication, voilà ce que souligne David Vann. Magistralement développée par De Soto et Ortiz, au départ si semblables pour finir si éloignés. Mais la question centrale du roman n’est – elle pas aussi : qui est sauvage dans cette épopée ? Pour l’auteur, il n’y a aucun doute. Le conquérant bien évidemment. L’autre, celui que l’on ne comprend pas, celui dont on a peur, on veut au mieux l’assujettir, au pire le tuer. Sous le couvert d’une civilisation salvatrice et chrétienne.

« La Contrée obscure » par David Vann, traduction de Laura Derajinski, Éditions Gallmeister, 506 pages, 26 euros.

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