« La Mariée de corail » de Roxanne Bouchard était capitaine d’un homardier

Lire Roxanne Bouchard, c’est d’abord l’écouter. La prose de la romancière québécoise est une petite musique qui vous trotte dans la tête bien longtemps après avoir terminé la lecture. On pense à Fred Vargas en France qui a su créer un univers si particulier. Même tour de force chez la Canadienne qui, roman après roman, confirme qu’elle aussi possède une plume originale dans le monde rugueux et misogyne des pêcheurs de la banquise.

On doit cette jolie découverte aux Éditions de l’Aube Noire qui dès 2022 publient « Nous étions le sel de la mer ». Le titre cartonne immédiatement et emporte l’année suivante le Prix des lecteurs Quais du Polar/Journal du Dimanche et celui du Festival Étonnants Voyageurs de Saint Malo. Les amateurs du genre se régalent avec ce nouvel inspecteur, Joaquin Moralès. Que vient donc faire un Mexicain dans ces contrées polaires du Canada ?

Suivre son cœur. Bien évidemment. C’est pour une belle Québécoise qu’il a mise enceinte (c’est un homme d’honneur amoureux) que le jeune gaillard a rompu les amarres et quitté définitivement son pays d’Amérique latine. Depuis leur idylle qui leur a donné un fils, Sébastien, s’est mise à tanguer. Enfin, Joaquin ne sait plus trop. Sarah a demandé à prendre un peu le large. À réfléchir. Le voilà donc, le sergent-détective Joaquin Moralès, du poste de police de Bonaventure, pris dans les filets de « La mariée de corail », en Gaspésie (centre-est du Québec). Cet endroit justement choisi par sa femme et où elle ne viendra sans doute jamais.

« Les femmes de mer ne laissent personne indifférent ». Et surtout pas Angel Roberts, fille de Leeroy Roberts et femme de Clément Cyr. Et surtout capitaine d’un homardier. Pas banal, une dame aux commandes d’un bateau de pêche. Et cette Angel (ange en Anglais), elle en a énervé plus d’un. Son bateau est retrouvé avant son corps. L’accident est exclu. Le suicide ? « La Gaspésie le défie non seulement par sa lenteur, mais aussi par sa douloureuse expérience de l’intimité. Ici, il faut avoir une compréhension intime des gens pour résoudre une affaire. » Les gens de la mer sont comme ceux des montagnes, fermés et rudes. C’est tout à fait par hasard qu’elle a resurgi, « la cage étant ancrée à une sorte d’îlot d’arbres morts qui flottaient entre deux eaux. » Elle avait les bras ouverts vers le ciel, ses cheveux et sa robe ondoyant autour d’elle. La voilà dans sa robe de noces, une tradition qu’elle imposait à la date anniversaire de son mariage depuis dix ans, attachée à un casier de pêche, un casier à homards. Que s’est-il passé cette fois ? Aura-t-elle épousé la mer ? Moralès creuse. Interroge le mari si prompt à s’accuser, écrasé par le deuil, le père, les frères,. Beaucoup de haine sous-jacente, de rancœur dans les familles. Il est aussi question de braconnage et d’argent. Comme toujours.

Moralès est aidé dans son enquête par Simone Lord, agente des pêches. On ne peut pas dire que les deux partent du bon pied. Elle le toise. Et dit : « Quand c’est une femme qu’on recherche, ils nous envoient le gars en préretraite qui prend dix-sept heures à effectuer deux cents kilomètres. » Il doit aussi gérer l’arrivée inattendue de son fils Sébastien, en bisbille avec sa copine. C’est énorme pour ce taiseux qui au fond n’aspire qu’à une chose : se consacrer entièrement à son enquête. Il aurait voulu dire à Simone que « la disparition de cette femme ne l’indifférence pas, au contraire, mais il n’a jamais aimé ce genre de discussions. »

La nuit où Angel est morte, la mer était calme. L’eau a imbibé le tissu de sa tenue, mouillé ses cuisses. La vague est arrivée à la bonne hauteur, comme si le courant avait été calculé. C’est bien une mort planifiée. Mais de quel genre ? « A-t-elle ouvert les yeux, regardé la mer et su qu’elle allait mourir ? » Elles étaient deux femmes capitaines en Gaspésie. Il n’en restera bientôt qu’une. Joaquin Moralès est un bon enquêteur, il aura une réponse, pas toutes bien sûr. Mais il aura compris que « quand l’amour, à la manière des éclats scintillants de la lune sur l’onde, n’est plus qu’une illusion qui s’éparpille et se dissout, » le pire est à venir. Le style de Roxanne Bouchard nous berce comme les vagues d’une mer parfois létale. Sombre et grandiose, dangereuse comme un nœud coulant.

« La Mariée de corail » de Roxanne Bouchard, Éditions de l’Aube, 449 pages, 21,90 euros.

 

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