« Les datas sanglantes » de Jakub Szamalek

Il existe des romans qui, mine de rien, fichent la trouille. Et celui-ci en est un. Le deuxième techno-polar de Jakub Szamalek, « Datas sanglantes »,  reprend les personnages de son livre précédent et tourne encore une fois autour des dangers du web. A tel point qu’une fois la lecture achevée, on se dit que la chose la plus sensée au monde serait de disparaître d’Internet et des réseaux sociaux.

La journaliste, Julita WÓjcicka devenue célèbre grâce à son travail d’investigation relaté dans le premier tome, Tu sais qui (toujours aux Éditions Métailié), reprend du service. On la retrouve en petite forme, en couple avec Leon, dans un grand appartement, à Varsovie. « Elle osait pour la première fois se croire adulte ». Assez traumatisée par son enquête précédente, cette surfeuse impénitente n’a et sans surprise qu’une fenêtre sur l’extérieur : Internet. Justement, un message d’outre-tombe la tracasse. Celui du hacker génial, Emil Chorczynski qui avant de se faire sauter le caisson, lui a envoyé des dizaines de gigabits d’information au sujet d’un forum pédophile appelé “ La Cour de récré ”. Elle a beaucoup hésité avant de se décider à l’ouvrir. Elle tombe alors sur un véritable labyrinthe de fichiers assez obscures, à l’exception de celui du 15 novembre 2018 qui ne contient que deux lignes : « un lien vers un article sur le meurtre d’une camgirl de Minsk Mazowiescki et un commentaire laconique : VERIFIE ». Ce qu’elle finit par faire. Ce qu’elle découvre ? Un meurtre en direct. Celui de Hannah B, 29 ans, assassinée par strangulation au cours d’une transmission diffusée par la plateforme MyGreatCams. On y voit aussi un homme cagoulé, une bagarre et une morte. Julita est ferrée. Bienvenue dans le monde du Sex Camming où des filles (les hommes aussi) se déshabillent face caméra pour tous ceux qui préfèrent le cybersex. Ce ne sont pas forcément des professionnelles de la prostitution mais pour quelques dizaines de milliers de zlotys par mois, cela leur permet d’améliorer un quotidien souvent sans grande perspective d’avenir. L’auteur polonais n’oublie pas Jan Tran, Polono-Vietnamien, flic et génie de l’informatique que Julita ne lâche pas d’une semelle. De quoi étoffer le romanesque de l’ouvrage et nous faire oublier toutes les références barbares du langage informatique.

Ailleurs, d’autres veillent aussi devant leur écran. Comme Oleg, d’origine bélarusse et modérateur de profession. Le jeune homme se farcit toute la journée des images plus horribles les unes que les autres. Ce sont pourtant d’étranges messages politiques nationalistes, anti-migrants qui retiennent son attention. Pas tant pour leur contenu que comment ils apparaissent et à quel rythme. « Ils ont atterri à la modération au même moment, ils ont tous été publiés en un quart d’heure ». De quoi en référer à son supérieur.  Oleg est consciencieux, il se souvient de l’élection américaine en 2016. Il sait que sans Internet et les réseaux sociaux, un gars comme Donald Trump n’aurait jamais été élu. La Pologne est en passe de vivre une élection cruciale. Et si la même chose arrivait dans le pays ? Un compte en particulier le tracasse, celui de Zbysek Dembski qui vocifère contre “la vermine de l’Est”. Une photo de profil suggère un beau mec mais lui est familière. Après vérification, il découvre que c’est en fait Jesse Williams, l’acteur de Grey’s Anatomy. Se mêle à cette petite tambouille fictionnelle de l’auteur, une conseillère en communication qui travaille d’arrache-pied pour son candidat tout beau, tout neuf. Mais qui déchante quand elle comprend que le making-off de la campagne électorale commence sérieusement à ressembler à celle du catastrophique Brexit.

Jakub Szamalek parvient encore une fois à construire une intrigue fascinante et rythmée autour d’un thème pas très funky, Internet et ses ramifications. Mais on sent que le propos de l’auteur est ailleurs. Il est dans une démonstration de force qu’il juge salutaire : celle de convaincre le lecteur et le citoyen que la toile mal utilisée, détournée, peut devenir un vrai danger pour la démocratie. La Pologne a pour voisin l’Ukraine, elle connaît parfaitement les agissements de la Russie et son savoir-faire de dingo dans le cyberspace. Des « cyber-elfes » combattent même désormais les trolls russes sur le Net. On n’est plus dans la fiction mais de plein pied dans un monde Orwellien. Devenu tristement réalité.

« Datas sanglantes » de Jakub Szamalek, traduit par Kamil Barbarski, Éditions Métailié Noir, 448 pages, 22,50 euros.

 

 

 

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