Inspiré. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire le dernier roman de Hugues Pagan. Ombre indissociable de son personnage Claude Schneider, le romancier porte en lui les tourments d’un homme qui traverse la vie au pas, prudent et vigilant, intense et frappé de fulgurances lumineuses. Hugues Pagan est un grand écrivain du Noir français.
Il y a bien sûr un cadavre. En réalité trois corps carbonisés pour deux départs de feux distincts, dans un ancien atelier d’ébénisterie, rue de la Chouette. Une femme, deux hommes. Très vite, Schneider accueille dans les locaux de la police, Gabriel Fonseca qui avoue avoir été payé cinq cents francs pour mettre le rif. Problème. Son beau-frère complice est mort dans le sinistre à cause d’un retour de flamme et les billets proviennent d’un hold-up. Le commissaire principal et chef de la Sûreté, Manière, interroge Schneider : « Affaire bordée ? » Ce à quoi le flic répond. « Dans les grandes largeurs ».
Il ne croit pas si bien dire, Claude Schneider. Quel rapport entre cette affaire et celle du professeur Mathieu Chrétien qui veut absolument rencontrer le policier pour lui parler du Diable dont il connaît le nom mais qu’il se refuse à dévoiler parce que mort de peur. Et puis encore une autre enquête. Un banal accident de la circulation où trois personnes sont mortes. Pas de quoi intéresser la Criminelle. Si ce n’est que René Vauthier, ancien flic, et désormais enquêteur pour une agence d’assurances suisse, vient voir Schneider. Dans son business, on n’aime pas les coïncidences. Et là, il y a quatre disparus, quatre personnes assurées, et un seul bénéficiaire. On parle de secte et de Grand Gourou qui s’est évanoui dans la nature. Schneider dit juste à Vauthier qu’il ne peut rien pour lui.
Il a tort. Il lui faudra croiser la route de Pierre Mortaigues pour relier les fils un à un. Un professeur de philosophie de l’université libre de Louvain et qui se fait appeler Pierre de Montaigu, patronyme du quinzième Grand Maître du Temple. À ses côtés, la grande prêtresse, Maria Dolores Ribeira de Santa Marta. Ils ont des adeptes, bien évidemment. Dans la langue poétique et musicale qui le caractérise, Hugues Pagan, accompagné de ses habituels acolytes, Charles Catala, Courapied ou encore le légiste Leon Andrés, surnommé Trotski, nous prend par la main une nouvelle fois et nous plonge dans la vie de ce groupe de policiers dirigé par un homme taiseux, ténébreux et torturé. Au fond, Schneider est un solitaire, forcé de faire équipe pour rendre la justice. Une justice qu’il a foulée au pied pendant la guerre d’Algérie et qu’il ne cesse depuis d’expier. Faire le Bien pour conjurer le Mal. L’intrigue est un poil complexe. On sent que l’intérêt du romancier est ailleurs. Ce sont les personnages qu’il observe avec minutie. Un comble pour ce double inventé et qui lui ne goûte guère son prochain. D’ailleurs, il ne rate rien de leurs travers. Parfois, il croise la beauté. Le plus souvent de loin. S’en approcher serait se brûler ou se perdre. En 2022, Hugues Pagan écrivait « Le Carré des Indigents », un prélude à la nouvelle vie de son héros, muté dans une ville anonyme de l’est de la France. Trois ans plus tard, Claude Schneider n’a pas bougé. Et « L’Ombre portée » de Hugues Pagan se révèle une suite aussi envoûtante que les premières notes d’un morceau de jazz.
« L’Ombre portée » de Hugues Pagan, Éditions Rivages/Noir, 452 pages, pages, 22 euros.