« Mirror Bay » de Catriona Ward ou les dangers de l’écriture

Il est bien question de serial-killer dans le dernier roman de Catriona Ward. Mais cela serait presque anecdotique pour la romancière américaine. L’atmosphère compte davantage. Nous sommes en 1989, la chute du Mur de Berlin résonne au loin pour ces vacanciers en bord de mer, sur les côtes du Maine. Ce qu’ils perçoivent à travers la brume, ce sont des rumeurs comme celle d’une mystérieuse noyée ou encore cette ombre qui serait un homme. Un « Rôdeur » qui s’introduit dans la nuit dans les villas d’été de Whistler Bay pour prendre en photo des enfants dans leur sommeil. Sentir et ressentir, les sensations préférées de Catriona Ward. Effrayer le lecteur par petite touche, suffisamment pour qu’il ne se détourne pas et l’emmener toujours plus profonds dans les méandres d’une imagination torturée et frissonnante. L’horreur se décline avec délicatesse à « Mirror Bay ».

Ce sont trois mousquetaires, Nat, Harper et Wilder. Ce n’est pas rien pour Wilder Harlow, un ado maigrichon qui d’ordinaire a du mal à se faire des amis. Le premier chapitre lui est consacré. Sous forme d’extraits de mémoire, nous apprenons ainsi que Wilder a raconté sa vie dans un livre non publié. Catriona Ward n’a pas l’intention de nous faciliter la vie. Il va falloir suivre avec attention.

Les débuts de cet écrivain en herbe. Qui nous présente ses nouveaux amis. Harper est en vacances comme lui, « elle semble sortir tout droit d’un film. Elle a de la classe », et Nathaniel Pelletier (Nat) est un petit gars du cru. « Le genre de mec qui n’a aucun problème avec les nanas. » Leur première rencontre est rugueuse. D’emblée, les deux jeunes hommes se battent pour la belle. Un œil au beurre noir pour Wilder. Leur amitié est scellée. La plage, la mer et l’alcool. Les premiers émois amoureux. Et le mystère. Nat leur montre une grotte. C’est là qu’une femme se serait noyée. « On l’appelle Rebecca, explique-t-il, mais qui sait s’il s’agit de son vrai nom ? «  On joue à se faire peur. Wilder est la proie parfaite. Ses nouveaux amis lui font une blague. La marée monte vite et réduit l’entrée de la grotte à un petit croissant de lumière. Wilder manque de se noyer. Il s’en est fallu de peu. Ils jurent de ne plus y retourner. Ils se mentent.

L’histoire du « Rôdeur » les occupe tout l’été. L’imagination est grande à cet âge. Et puis tout devient plus sérieux. Sur la route, non loin de chez lui, Wilder trouve un Polaroïd qui montre un enfant endormi. Il est tout excité, son père l’emmène au poste de police, il fait une déposition et tout s’emballe. D’un seul coup, Wilder en a assez de ces histoires d’adulte, la réalité n’a plus rien de séduisant, l’inspectrice Harden a trouvé un couteau. Il prend peur, réclame les bras de sa mère. Sans honte et en vain. Le temps de l’innocence touche à sa fin. L’été suivant, le trio navigue de nouveau vers la grotte, Nat s’est blessé, un couteau dans la main. Une lame, encore. L’inspectrice reconnaît l’arme qui figure sur le Polaroïd. Les Pelletier, père et fils, intéressent désormais la justice. « Finalement, le véritable danger pour les nageurs ne venait pas des courants. »

Catriona Ward entame alors la deuxième partie de son roman. Wilder a été admis à l’université de Pennsylvanie où le seul littoral est un minuscule bout du lac Érié. Il trouve ça rassurant. Il est sorti, traumatisé de cet été. Son identité a été révélée par la presse, huit femmes sont mortes et la neuvième est toujours manquante. Wilder écrit la liste de noms noir sur blanc sur un cahier. « Le seul moyen que j’ai trouvé pour empêcher le rêve de m’engloutir. » Mais il ne rêve jamais de Nat. Il change de coloc ou plutôt un autre s’impose. Il s’appelle Sky. Lui aussi se pique d’écriture. Quelques nouvelles mais ce qu’il veut par-dessus tout, c’est écrire un roman. « Écrire, ça permet de purifier les choses, dit-il, ce monde est trop dur, on a besoin de quelque chose de meilleur. Comme les livres. » Il tombe sur le manuscrit de Wilder. Il se l’accapare. De façon unique et tragique. Il force Wilder à revenir sur ces événements bouleversants, ces femmes mortes noyées au fond d’une grotte, à enquêter. Sky a besoin de matériel pour ce livre qu’il peine à accoucher. Le manuscrit de Wilder lui servira de tremplin.

La romancière entame la troisième partie de son ouvrage, un roman dans le roman. La vérité brûle les yeux, qu’est-ce qui est vrai et ne l’est pas ? Catriona Ward s’interroge sur le processus d’écriture, la panne, la feuille blanche. « Ça ne fonctionne pas, explique Wilder qui est revenu à Whistler Bay trente ans plus tard, pour tuer Sky. Pourtant, tout est là, scintillant dans mon esprit comme un vitrail illuminé. Alors pourquoi est-ce que je n’arrive pas à écrire ? » Les personnages se battent pour vivre, mourir, revenir, pour exister. Catriona Ward ne fait pas que raconter une histoire, des histoires. Elle plante le clou, sans chichi, entraîne le lecteur dans un vague de mots, de phrases pour la beauté de l’exercice, tout en utilisant les codes de la frayeur. On est ébranlé. Et si l’écriture n’était pas la plus grande source de danger ?

« Mirror Bay » de Catriona Ward, traduit par Pierre Szczeciner, Éditions Sonatine, 400 pages, 23 euros.

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