» Une émeute, ç’a un début, une cause, un déclenchement, et un après. » La topographie des lieux dans cette équation souvent mortelle est vitale. Jean-Marc Fontaine en a saisi toutes les nuances. « Trois fois la mort de Samuel Ka », roman noir et social, se penche sur la dynamique d’un fait-divers survenu aux Boqueteaux. Ce n’est pas là que le délit d’origine a été commis mais c’est pourtant là qu’il va s’achever. Les Boqueteaux, un lieu de convergence « où aboutit le mouvement, un pivot et des axes autour desquels tournent deux grandes aiguilles dont le rôle est de marquer l’heure. »
La sortie du roman de Jean-Marc Fontaine coïncide avec la reconstitution sous haute sécurité de la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué le 27 juin 2023, à Nanterre. La police avait commencé par rejeter la faute puis vidéo à l’appui, avait changé de version. Les banlieues avaient flambé. Le temps du souvenir est primordial. Il est question de versions des événements, de ce que l’on a vu ou croit avoir vu. L’auteur est aussi sociologue. Son approche est double : fictionnelle et académique. Il s’est emparé de ces faits-divers à répétition pour se focaliser sur le dénouement de l’un d’entre eux. Ses descriptions sont en mode Kalachnikov, avec une écriture heurtée comme la vie des gamins des cités sans horizon. » Samuel Ka. On ne sait pas trop ce qu’il trafique. Du cannabis, c’est sûr. Peut-être quelque chose de plus dangereux. Plus dangereux pour le consommateur – c’est blanc, ça s’injecte et on s’accoutume vite. » Les rappels à l’ordre de Jean-Marc Fontaine sont fréquents aussi. Histoire de voir si l’on ne s’est pas perdu dans ces territoires inconnus où les caves ont pris une importance à la Clausewitz et où » se jouent des tensions interpersonnelles, résolues de façon violente et artisanale. » » Les acteurs du sous-sol ne sont pas nécessairement du coin, mais c’est là qu’ils se retrouvent. » Ce qui arrive à Samuel Ka, ce jeune homme de 25 ans ambitieux, et souvent armé d’un fusil à pompe. La suite est une succession de mouvements. Ceux de Samuel, ceux du gardien G. Des tragédies banlieusardes souvent résumées en quatre lignes dans un quotidien. Un peu plus, si les émeutes prennent de l’ampleur.
En face. Le commissaire Vanec’h, un Républicain qui aime l’ordre strict, « le monde est un foutoir », mais il est aussi légaliste et il n’aime pas les effluves de son propre commissariat. Il renifle « une fraternité opaque et haineuse qui ne se montre jamais au grand jour devant lui. » Alors le mort au pied de l’immeuble, c’est pas bon. L’état de grâce est court et vif. Il le sait. Les premières constatations sont favorables aux forces de l’ordre. Respiration. On n’est pas en Ukraine, on est à la cité des Boqueteaux, entre Aubervilliers et Pantin. Il n’y a pas d’armée russe, pas de drones, de bombes ou de tranchées. Mais c’est bien une guerre qui se prépare. Un autre genre, urbaine et de basse intensité, mais récurrente et où tous les acteurs connaissent leur rôle sur le bout des doigts. Une armée de gens ordinaires qui n’ont qu’une idée en tête, calmer le jeu, canaliser les éruptions de violence. Pour cela, il leur faut identifier les points chauds, y placer les adultes, dialoguer avec les adolescents et faire rentrer les plus jeunes à la maison, inciter les parents à patrouiller. Tout entreprendre pour éviter l’embrasement. Et témoigner de ce que l’on aura vu. En face, la préparation est faîte de kevlar, de haine et d’une étincelle de bon sens noyée dans une colère assassine. Résultat, trois camps. Les jeunes, les habitants du quartier et les forces de l’ordre. « Les vieux ont dit que c’était comme la Guerre d’Algérie. »
Samuel Ka est tombé aux oubliettes. Enterré sans fanfare. Le gardien G libre, légitime défense. Pas de procès. Antoine, le sociologue, est en mission. C’est la deuxième partie du roman. Il a été envoyé aux Boqueteaux pour un projet de réhabilitation. Le sociologue découvre un univers de désolation, des jeunes qui vendent du shit et peut-être même leur sœur si on insiste. Et Martine. Elle s’occupe du téléphone, du courrier et de l’accueil à la maison de quartier. Quelqu’un évoque le mort, ce Samuel Ka. Mais l’éducateur lui conseille d’oublier, de passer à autre chose. Il règne comme une sorte d’omerta autour du défunt. Samuel Ka ne serait-il pas vraiment la bonne victime ? Mais il y a Martine. Elle s’occupe du téléphone, du courrier et de l’accueil à la maison de quartier. Solaire, elle aime sa cité. Le sociologue en est tout retourné. Martine, c’est justement elle qui a annoncé à Daniel, la mort de son frère, Samuel Ka. Elle en parle, elle a sa version des faits. Tout comme Ousmane qui aide Antoine dans son travail. » C’est simple : dans une cité, quand un type se fait tuer, ça n’est jamais un hasard. La plupart du temps, celui qui se fait tuer, c’est un type que les flics voulaient voir mort. » Antoine engrange les points de vue, les explications, se rend sur la tombe. La légitime défense a tout emporté, il reste l’amertume docile. Et le plan de rénovation dans tout ça ? Un cul-de-sac lui aussi. Les banlieues sont des millefeuilles sans sucre qui laissent un arrière-goût métallique où l’humiliation est érigée comme arme fatale et le jeu politique comme vêtement de seconde main. Faute de pouvoir tout dynamiter. Avec « Trois fois la mort de Samuel Ka », Jean-Marc Fontaine nous offre une vision sans pathos de ces lieux dévastés et tourmentés où les émeutes soufflent à 150 kilomètres/h et où le sable du Sahara se dépose, rouge/ocre, sur les voitures qui n’ont pas encore brûlé. Que faire? Par le moins coûteux, peut-être. Par respecter les gens.
« Trois fois la mort de Samuel Ka », de Jean-Marc Fontaine, Éditions Globe, 253 pages, 20 Euros.
à l’attention de Karen Lajon.
Chère Madame Lajon, Amélie DOR m’a fait suivre le compte-rendu que vous avez fait de mon livre. ça m’a fait un immense plaisir de le lire. D’abord parce que je me suis senti compris – c’est toujours agréable.. – et que l’idée de commencer votre article par ce « petit r » capture une dimension essentielle du bouquin… la quotidienneté.
Un grand merci, donc – et aussi ça : ça me fait plaisir d’être commenté dans « la vie en noir », parce que,c’est vrai, c’est un polar, même si ce sont des années de ma vie. Et puis c’est vrai aussi qu’il y a du Raymond Chandler dans mes ascendances littéraires.
Avec mes salutations reconnaissantes
Avec retard, j’en suis navrée, je vous remercie beaucoup et attends d’autres lectures de même niveau.
Cordialement
Karen Lajon