« Conspiration » de Luke McCallin : une enquête policière dans l’enfer de la Grande Guerre

À l’heure où des hommes pataugent et meurent dans les tranchées ukrainiennes, Luke McCallin se sert du roman policier pour nous parler d’une autre guerre. Celle de 1914. Gregor Reinhardt, lieutenant dans la division prussienne de l’armée du Kaiser, se trouve sur le Front de l’Ouest, près du village de Viéville-sur-Trey au nord-ouest de la France. Les soldats de toutes les nations engagées dans le conflit se battent encore comme des chiens, à quelques mois de l’Armistice, quand ce qui ressemble fort à un attentat vient perturber le déroulé de cette Première Guerre mondiale sanglante du côté allemand.

Une ferme, un dîner et quatre cadavres. « Le soldat William Sattler du1er peloton de la 2e compagnie du 1er bataillon du 17e régiment de fusiliers prussiens, était un perturbateur, un guerrier de classe, un avocat des tranchées, un fauteur de troubles, un armurier, un homme ayant accès au matériel pour faire sauter une bombe. » Et aucun alibi. En un mot, le coupable idéal. Le jeune lieutenant Reinhardt est chargé de faire toute la lumière. C’était l’un de ses hommes. D’emblée, il a des doutes. D’autant que la liste de gens qui meurent ne cesse de s’allonger. D’autant que le seul à pouvoir innocenter Sattler, décède lui aussi. Qu’est-ce que cet attentat au milieu d’une guerre ultra-meurtrière ? Une première piste se dessine. Il aurait été perpétré par deux capitaines pris en flagrant délit de mœurs réprouvées mais qui pour couvrir leur crime auraient décidé de faire exploser l’endroit où se tenait une réunion à laquelle ils participaient eux-mêmes. Que vient faire cet hôpital où sont soignés des militaires souffrant d’obusite. Le lieutenant se perd en conjecture. Lui, un homme simple mais droit.

Dans le genre, oui, on le sait, on doit tout à l’écrivain écossais décédé, Philip Kerr et son héros emblématique Bernie Gunther dans « La Trilogie berlinoise. » Luke McCallin creuse le même sillon. Mais autre point de vue, autre narration. On est toujours du côté teuton mais le romancier a choisi dans ce roman de fondre l’intrigue policière dans les entrailles d’un conflit qui fit des millions de morts sur tous les fronts : La Première Guerre mondiale et le règne du Kaiser. Lorsque nous faisons connaissance de ce très beau personnage, Gregor Reinhardt, il se bat déjà depuis quatre ans. Dans ces tranchées, la boucherie est quotidienne et dans les deux camps. Sa mère est en train de mourir d’un cancer à Berlin où son père vit encore. Le lieutenant s’est habitué à tout. Il sait combattre les poux. Il se presse contre le mur froid quand ces sales bestioles se réveillent dans les coutures de sa chemise pour gambader sous ses aisselles. « C’est une technique qu’il a trouvée pour les calmer. » Pour le combat, il préfère les bandes molletières et les bottines plutôt que les lourdes bottes qui leur ont été fournies et qui tapent les mollets. « Il les sanglait dans des jambières en cuir rigide qu’il avait prises sur le cadavre d’un officier des zouaves français. Il appartient à cette race de soldats qui a connu les batailles de Ypres en 1914 ou celle du Langemark. Il force le respect. Le roman vaut autant pour son excellente intrigue que pour l’apport militaire et historique de ce conflit.

Un Français est fait prisonnier. Il est gendarme. Il raconte qu’il enquête sur la mort d’un officier français, le capitaine Jean-Baptiste Lussart, officier de liaison pour le corps expéditionnaire russe. Plusieurs Russes morts sont retrouvés près de son corps. On conseille à Lussart de s’entretenir avec des hommes employés par un certain Marcusen… le lieutenant Blachenko, le caporal Frislev et le soldat Kosinski… Quid de cet hôpital qui soigne des soldats atteints d’obusite ? Le lieutenant rebondit de révélation en révélation. Cet attentat porte en réalité la signature d’hommes qui anticipent la fin de la guerre. « La vraie commencera chez nous. À notre retour. Contre les communistes, les Juifs, toute cette pourriture venue de l’intérieur parce que vous savez quelle est la seule chose pire qu’un Juif, lieutenant ? Un Juif communiste. » Le socle des idéaux nauséabonds de la Seconde Guerre mondiale est posé. Les aristocrates, les bolcheviques à la manœuvre, et les expériences médicales, déjà, sur des hommes terrassés par une violence de fer et de sang contre laquelle ils ne peuvent rien. « Conspiration » repose sur une intrigue compliquée. Mais pas seulement. On voit aussi un jeune homme s’éveiller au monde d’après, à celui qui l’attend. Étonnamment préservé, loin de cette contamination nazie en gestation, comment sortira -t-il de cette folie. Debout, sans doute, vivant, peut-être. Que peut-il faire ? Pourquoi pas policier ?

« Conspiration », de Luke McCallin, traduit de l’Anglais par Niocolas Zeimet, Éditions Toucan Noir/Poche/Policier, 556 pages, 9.90 euros. 

 

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