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« Les Injusticiers » de François Forestier ou comment communisme et capitalisme ont convergé dans les années 50

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Lire un roman de François Forestier, c’est avoir toutes les chances de se promener en visiteur privilégié dans les coulisses d’Hollywood. C’est pouvoir rencontrer les héros et découvrir les lâches. Les faux et les vrais. Cette fois encore, il a braqué ses projecteurs sur la Mecque de la bobine en Californie. Nous sommes dans les années 50. La paranoïa envers les communistes est à son comble. Le Sénateur Joseph McCarthy est à la manœuvre, assisté dans cette chasse aux sorcières, de son complice J. Parnell Thomas, procureur de la fameuse Liste Noire des dix. Dix noms livrés en pâture à une justice devenue folle et partiale. Mais cette fois, le journaliste/écrivain a tenu à dresser un parallèle entre deux systèmes judicaires. « Les Injusticiers » décrit ainsi « deux canailles » aux manettes d’une justice en théorie aux antipodes : J. Parnell Thomas et Andreï Vychinski, procureur général des procès de Moscou, en ex-Union soviétique. Avec François Forestier, ils auraient pu être frères.

L’avertissement de l’auteur est étourdissant. Il nous prévient que le livre est né d’une obsession. Et de rencontres. Et pas n’importe lesquelles. Des survivants de cette purge hollywoodienne. Joseph Losey, John Berry, Sterling Hayden, Ring Lardner Jr, pour ne citer qu’eux. Les cinéphiles apprécieront. Le scénariste américain et de confession juive, Dalton Trumbo, avait surnommé cette période « l’ère du crapaud ».  Il se trouve, comme l’explique François Forestier, que les deux procureurs se sont bien croisés un jour. Si l’un est mû par la peur, l’autre réagit à la haine. Leur point commun : le pouvoir de condamner. Autrement dit, le pouvoir de vie ou de mort.

La tâche fut plus aisée pour Vychinski. Il a fait exécuter ou a envoyé au goulag (souvent la même chose) des hommes par centaines. Sans avoir à se justifier. Il suscite l’intérêt, voire l’admiration, de J. Parnell Thomas entravé, lui, par quelques lois fondamentales inscrites dans la Constitution américaine, la Bible après la Bible de ce côté de l’Atlantique. Il ne peut condamner à tour de bras comme son lointain confrère mais les purges orchestrées par le Russe lui donnent des idées. Alors, J. Parnell Thomas dresse des listes, La Liste. C’est un Républicain du New Jersey, ultra-conservateur et secondé par un certain… Richard Nixon. Dans son viseur, ceux qu’il désigne comme les « inamicaux ».  Dalton Trumbo est number one. Parmi les « amicaux », il y a le président des acteurs, un informateur du FBI, Ronald Reagan. Au début de ce processus mortifère, les vedettes incriminées ne s’inquiètent pas trop. Nous sommes en Amérique, que diable. Rien ne peut se produire comme là-bas, chez les Soviets. Ici, on est en démocratie, il y a des lois. Mais la trahison est universelle. Des stars du système balancent les sympathisants coco. Le réalisateur Elia Kazan, l’acteur Robert Taylor et sa tête de gendre parfait…

Traîtrise et lâcheté vont de pair. Et si mourir terrorise en Occident, le danger en Russie vient de la vie. Vychinski, le survivant, en sait quelque chose, lui qui a survécu à toutes les purges, celles d’avant et l’après Staline. Pourtant, en ce début de journée et fin de vie (71 ans), il est inquiet. Parce qu’au fond, la peur telle une seconde peau ne quitte jamais les Soviétiques. Il se trouve au pays de l’ennemi, à New-York. Un poste qui sent la récompense pour services rendus. Il sollicite une tasse de thé auprès de sa secrétaire Valentina. « Peut-être y a-t-il un moyen de changer de vie, se demande-t-il. Il y songe. Le cavalier noir, en g7, attend. Il est temps de le bouger ». Tout est glaçant dans ce roman parce que dans cette galaxie de portraits connus et moins connus, l’auteur dresse un constat impitoyable. En Union-Soviétique, il n’y avait à cette époque aucun innocent. Mais quid du système judiciaire américain ? On aurait dû se méfier. Des gens ont tordu les lois et fabriqué des accusés. Qu’est-ce qui a changé ?

« Les Injusticiers » par François Forestier, Éditions Grasset, 256 pages, 20.90 euros.   

 

« Honolulu noir » de Rodney Morales : Hawai’i a trouvé son nouveau Marlowe

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Il faut parfois revenir aux classiques. Rodney Morales se l’est sûrement dit le jour où il a décidé d’écrire Honolulu noir. Un pur polar dans la tradition d’un Raymond Chandler and Co. Rien de révolutionnaire mais sacrément bien fichu. On est sous les tropiques de Hawai’i et David Kawika Apana, journaliste d’investigation, reconverti en détective privé, spécialisé en disparitions, débute sa première enquête. Minerva Alter qui trouble énormément notre novice d’enquêteur, lui demande de retrouver sa fille disparue. Et c’est parti sur plus de 400 pages d’un classicisme, au fond, parfaitement rafraîchissant.

D’emblée, on apprend que la dame, blonde à tomber par terre, fut marié à Lino Johnson, abattu à bout portant en plein Chinatown une vingtaine d’années auparavant. Gloups. Caroline Ku’uleilani Johnson, donc, 20 ans, gentille fille qui appelle toujours régulièrement sa maman, même quand elles se fâchent parfois toutes les deux, n’a plus donné signe de vie depuis 15 jours. Du jamais vu selon sa génitrice. David Apana n’est pas vraiment en mesure de faire la fine bouche. Sans un rond, il a joué au poker et gagné un bateau où il habite désormais sans rien connaître à la navigation. Ni aux blondes d’ailleurs mais il accepte la mission. Le suivre dans ses pérégrinations et tâtonnements, c’est découvrir Hawai’i, version natif de l’archipel. Un vrai régal. Il commence par Lanika sur Mokula Drive, située à deux pas de la plage. Une enclave de riches où la mixité ethnique se résume à « une poignée de maisons décrépites appartenant à des familles hawaiiennes qui doivent payer des impôts locaux toujours plus élevés pour s’accrocher à un kuleana, un lopin de terre hérité de leurs nobles ancêtres ». C’est le point de départ de cette affaire qui va le conduire dans des endroits moins glamours. De temps en temps, il s’arrête, se saisit de sa planche. Il a grandi au North shore, sur la côte nord de O’ahu, là où les gamins vivent pratiquement sur la plage le jour avant de laisser la place aux dealers, aux désespérés et amants naïfs à la nuit tombée. Kailua Beach, burger, café et planche de surf. Il contemple les îles jumelles de Mokumanu et Mokulua. Les maisons sont dissimulées par les lianes, les frangipaniers ou les hibiscus. On passe par Chinatown, on boit dans les bars de Waikiki et on regarde les bateaux amarrés dans le port de Ala Wai Boat Harbor. Apana, un brin cynique, est bien le gardien du temple. Il y a Hawi’i et il y a son Hawai’i.

Tout s’imbrique d’une manière bizarre, se dit le privé. Cette maison couleur corail aux 39 marches d’un producteur de cinéma, gardée par cette Mia qui s’entraîne comme une bête au triathlon, que dissimule – t – elle ? Elle-même est l’amie de Kay, alias Caroline. Le premier fil d’une pelote emmêlée et tordue parce qu’avec Kay existe aussi Matthew, le secouriste et petit copain. Vingt-deux jours d’enquête, au cours de laquelle le privé se heurte à la pègre locale, aux flic ripoux, se fait démonter la tête comme il se doit. Apana va de surprise en surprise, la vérité, bien sûr, n’a rien à voir avec les hypothèses de départ. Rodney Morales qui a enseigné longtemps à l’université de Hawai’i, imprègne le livre d’une nostalgie que l’on devine réelle. Les prédateurs ne rôdent même plus, ils se sont emparés des lieux pour leurs magouilles politico-mafioso-policières. Sans oublier le FBI et la DEA (Drug Enforment Agency). Son héros, David Kawika Apana, oscille entre présent et passé et tente de comprendre comment un meurtre vieux de vingt ans peut être lié à la disparition d’une jeune femme, à fortiori sa fille. Honolulu Noir se dévore et l’on se demande comment Philip Marlowe s’y serait pris.

« Honolulu noir » par Rodney Morales, traduction de Mireille Vignol, Éditions Au Vent Des Îles, 435 pages, 23 euros.

 

 

 

 

« L’Affaire Martin Kowal » d’Éric Decouty : dans le marigot politique sous Valéry Giscard d’Estaing

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Sans pathos, dans un style assez distancié, on patauge pourtant sévère dans l’arrière-cour politique française et de ses coups tordus. Et l’on sent un malin plaisir chez l’auteur à entraîner le lecteur dans l’envers crapoteux d’un gouvernement en place, de sa police et de ses services secrets. Du grain à moudre pour tous ceux qui croient dur comme fer que seul un petit nombre d’individus dirige un pays.

Le romancier s’appuie sur des personnages réels. Il place son intrigue à l’époque du président Valéry Giscard d’Estaing. Le 11 mai 1976, le général Joaquin Zentano Anaya, un diplomate bolivien, est assassiné en pleine rue, avenue du Président-Kennedy à Paris. A bout portant de trois coups de 7.65, alors qu’il se dirigeait vers sa BMW bleu métallique. Un appel téléphonique mystérieux passé à la radio Europe 1 revendique l’attentat et la personne se présente comme appartenant aux Brigades internationales Che Guevara. Joaquin Zentano Anaya était aussi général. Le dossier atterrit comme il se doit à la Centrale (Direction des Renseignements généraux) et plus précisément à la BOC, la Brigade opérationnelle centrage des RG, le gratin de la police secrète. Martin Kowal est un bon enquêteur mais un fils de traître à la nation et grand amateur de substances toxiques en tout genre. Un gars hanté par le passé tâché de son paternel et la cervelle ramollie par la dope. L’affaire est suivie par l’Élysée. Autant dire l’enfer. Il y a Robert (Pandraud) et Michel (Poniatowski) pour les plus connus. Mais aussi un certain Biseau, un conseiller, un homme de l’ombre. L’union faisant la force, il a été décidé au plus haut niveau que les RG et la DST travailleraient de conserve. Kowal a été désigné comme faisant partie de l’aventure. Mieux, il va être à la tête d’une mini-unité dédiée au dossier. Il doit cependant coopérer ou en référer à un homme, le commissaire Semprun. Un nom qui claque pour le jeune flic. L’ami de son père qu’il n’a pas revu depuis la mort de ce dernier. Il s’en réjouit.

A tort. Parce que l’affaire pue. Il y a bien la piste de la drogue, après tout on parle d’un coin de la planète où le trafic de drogue est un passe-temps comme un autre. Mais très vite autre chose se dessine. Que peuvent bien avoir en commun l’OAS (Organisation secrète et bras armée des énervés de l’Algérie française) et les dictatures d’Amérique latine ? Pour l’écrivain, c’est l’un des secrets les mieux gardés de la présidence d’Estaing. La passerelle sombre entre des individus qui vont transmettre à d’autres, un savoir-faire peu ordinaire : les techniques de torture utilisées pendant la Guerre d’Algérie par les plus zélés des gars de l’OAS. Un cocktail historique qui fait le miel d’Éric Decouty. Compromissions, coups tordus, tout y passe dans la galaxie politico-services secrets. On touche du doigt l’hubris de ces hommes d’État qui se retrouvent d’un seul coup avec comme joujoux à disposition totale, tous les flics de France et de Navarre. De quoi planer. De quoi franchir la ligne rouge. On connaît « L’Opération Condor » dans laquelle les Américains ont trempé jusqu’au cou. Ces Américains coupables mais qui ont aussi la faculté de faire face à leur propre Histoire et à ses saletés. La France n’en est pas là. Loin s’en faut. En 2003, Édouard Balladur, alors président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblé nationale a refusé la commission d’enquête parlementaire concernant le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique latine. Le pays était selon lui « irréprochable ». Heureusement, il reste la littérature. « L’Affaire Martin Kowal », dont le personnage fictif maigrichon est largué et touchant, se lit d’une traite. Et nous remonte un poil le moral. On n’échappe jamais à la vérité. Même si elle met du temps à éclater.

« L’Affaire Martin Kowal » par Éric Decouty, Éditions Liana Levi,336 pages, 20 euros.

 

 

« Précis de survie stratégique »

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« Précis de survie stratégique ». En ces temps troublés, jamais un ouvrage n’a aussi bien porté son nom. Sous la direction d’Adrien Jaulmes et de Lucas Menget, des spécialistes de renom du monde de la recherche, des militaires ou encore du journalisme ont analysé de façon clinique les menaces qui pèsent sur nos sociétés sans pour autant dresser « une liste de scénario-catastrophes » comme le soulignent les deux auteurs dans leur introduction. La planète est ainsi passée au crible avec de sérieux arguments, bien loin de la cacophonie de certains débats à la télévision. Le livre ouvre assez naturellement sur le conflit qui se déroule depuis le 24 février 2022, en Ukraine sous la plume de Jean-François Bureau, spécialiste des questions de défense européenne. L’attaque surprise et brutale des forces russes de Vladimir Poutine a ébranlé les certitudes des Européens qui se croyaient à l’abri d’une guerre depuis plus d’un demi-siècle. Au cœur de cette équation, le rôle de l’OTAN. Le spécialiste rappelle « qu’aucun État membre ne peut escompter disposer seul des ressources nécessaires pour faire face au risque de guerre en Europe tout en assumant ses obligations de membre de l’Union et d’allié de l’OTAN ».

Le grand jeu, avec l’Afghanistan et l’Iran, n’est pas oublié sous la plume avertie de Jean-Pierre Perrin qui connaît son sujet sur le bout des doigts. Quant à la chercheuse Agnès Levallois, elle s’est occupée de la Turquie. Le cas de l’Inde et de la Chine illustre parfaitement la fragilité des alliances. « Pendant plusieurs décennies les exercices militaires en Inde s’inscrivaient dans la perspective d’un conflit avec le Pakistan, écrit Gilles Boquérat, spécialiste de l’Inde. Ce dernier est dorénavant perçu comme une nuisance, la vraie menace vient de la Chine qui occupe une place centrale dans le discours militaro-stratégique indien ». La Chine encore avec Taïwan dans le viseur. « Si les parallèles avec l’Ukraine sont fréquents, explique Antoine Bondaz, chercheur directeur de l’Observatoire multilatéralisme en Indo-Pacifique, une guerre n’est en rien inévitable ». Rien de très rassurant non plus du côté des continents africains et sud-américains. Mais c’est sans doute avec « le cinquième milieu » comme le désigne le colonel Alexis Rougier, chef d’état-major du Commandement de l’espace, que le constat est le plus vertigineux. L’espace n’a pas de frontière donc pas de lois. C’est le nouveau Far-West ou encore le New Space. « Dans ce milieu si singulier, souligne le colonel Rougier, les menaces qui s’y développent sont souvent hybrides, dans un mélange ambigu entre activités civiles et militaires. L’éventualité d’une confrontation ne peut plus être écartée ».

L’ouvrage est sorti avant l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier. Il décrit avec beaucoup de clarté les différentes façons de conduire une guerre que pourraient mener toutes les grandes puissances de ce monde si par malheur, elles se décidaient à entrer dans la danse d’un conflit. Ainsi le dossier israélien est-il parfaitement traité sous l’angle iranien par la journaliste Gwendoline Debono. Mais la tragédie qui a entraîné la mort de 1200 personnes sur le sol israélien interpelle à plus d’un titre. Il est peu vraisemblable, en effet, que l’utilisation d’ULM figure dans les manuels de guerre conventionnelle ou de guérilla urbaine. Le Hamas vient de démontrer qu’avec du temps, un réservoir humain quasi inépuisable, et surtout beaucoup d’imagination, on peut combiner armement classique fourni « free of charge » par les Iraniens et un modus operandi inédit. Une combinaison aussi audacieuse que mortifère et qui ne fait qu’accroître le sentiment de peur diffus que les menaces se dissimulent désormais absolument partout.

« Précis de survie stratégique » sous la direction d’Adrien Jaulmes et Lucas Menget avec la préface de Loïc Finaz, Éditions Équateurs Documents.

« Un sang d’encre » de Vincent Ejarque : roman noir dans les brumes françaises et algériennes

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Il arrive les mains dans les poches, la coupe de cheveux très militaire. Vincent Ejarque va parler de son deuxième livre. Longtemps, avec passion et générosité. « Un sang d’encre » ne doit rien au hasard. On y retrouve l’Algérie, déjà présente dans son précédent ouvrage. Son grand-père, lieutenant de gendarmerie, y est mort. Il n‘avait que 38 ans. Tombé dans un guet-apens orchestré par d’autres Français au terme de son sixième séjour. Et la presse. Celle que le journaliste/écrivain aime tant. La double mémoire. La grande Histoire et la plus petite, la famille. Fort de cet héritage, il a écrit un roman policier passionnant sur une époque toujours mal digérée des deux côtés de la Méditerranée. « Cela reste un sujet hautement inflammable », dit-il, raide et soucieux.

« Ce que j’aime ce sont les moments de bascule, ceux qui font que l’Histoire s’emballe ». Alors, il nous emmène quelque part dans le sud-ouest de la France – une volonté de l’auteur de ne pas être plus précis pour souligner l’universalité du projet – sur une route qui ne va nulle part. Cinq hommes à bord d’une Renault. Partis pour un rodéo mortel et le visage cagoulé. Ils se rendent chez Jean-Jacques Sabatier. Ils trouvent la femme et les enfants. Ils les dézinguent salement. Une entrée en matière aux petits oignons. Violente et sanglante. Le romancier ne s’en cache pas. Il s’est inspiré de la fameuse Tuerie d’Auriol en 1981. Il enchaîne sur un enterrement, un retour aux sources pour l’un des personnages phares, Cadalen, journaliste talentueux qui vivote pourtant à Paris depuis deux ans. Ce dernier est venu assister aux funérailles d’un camarade de régiment. Il ne compte pas s’éterniser.

Mais il existe un journal d’importance dans le coin : le Courrier du Midi avec à sa tête un rédacteur en chef haut en couleur. De ceux que l’on ne fait plus. Robert Malvy a besoin de sang neuf et d’exclusivités. C’est une offre d’emploi. Les deux hommes grimpent dans les étages, traversent les différents ateliers : photocomposition, typographie et photogravure. Puis salle de rédaction, bureau et tiroir. Johnnie Walker et Camel. Si Vincent Ejarque a deux amours, c’est bien l’Algérie et le journalisme. Mais un journalisme de seigneurs, lorsque tout était permis et que le mouvement woke n’était pas encore né. Vincent Ejarque ressemble au Petit Poucet, il sème ses cailloux et glisse des indices que certains reconnaîtront. Comme le photographe Armand. Un hommage en creux à quelqu’un qu’il a connu à ses débuts dans la presse. Il y a beaucoup de nostalgie chez ce grand gaillard de 51 ans lorsqu’il évoque cette période. En attendant, Cadalen fait le malin mais finit par accepter de couvrir le massacre de la famille Sabatier.  Après tout, qu’est-ce qui l’attend à Paris. Le scoop du siècle ? Mais il prévient, « dès que les gendarmes ont mis la main sur ce Sabatier, tchao ».

Nous sommes en 1983. Une date que l’on aurait dû prendre beaucoup plus au sérieux, selon l’auteur. « Parce qu’en tant que citoyen, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, découle directement de toutes les décisions économiques et politiques prises au cours de cette année-là . Il y a eu la rigueur imposée par le ministre de l’Économie de l’époque, Jacques Delors, et le tournant libéral pris par le Parti socialiste. Les entreprises ont été lâchées. En 1983, il y a aussi des élections municipales cruciales au cours desquelles pour la première fois, Jean-Marie Le Pen désigne les immigrés comme boucs émissaires. On est en plein marasme social et dans les usines automobiles comme celle d’Aulnay notamment, on découvre une marée d’immigrés ». Le Pen explose et le corps de Jean-Jacques Sabatier est retrouvé dans la campagne. Tout est habilement ficelé chez Vincent Ejarque. Pas de pathos. « Je revendique une écriture behavioriste. Pas de psychologie. Les actions sont ce qu’elles sont ». Sabatier travaille à la Française de mécanique automobile, la grosse usine du coin. « Deux mille ouvriers, pas mal d’Arabes ». Il encadre le service d’ordre et le syndicat maison de l’entreprise. A priori un bon gars sans histoire, un peu gros bras mais sans plus. Alors pourquoi s’attaquer si sauvagement à sa famille ? Le corps de Sabatier est finalement retrouvé dans la campagne.

L’enquête journalistique qui part d’un fait-divers saignant et local bifurque doucement sur des sables mouvants et algériens. Une sale période qui vient encore hanter les nuits de Cadalen. Cauchemars, cris et suées dans la nuit. Cette fois-là, lorsqu’il a perdu toute humanité. Le visage, le corps de Chanez, caressée puis torturée et abattue. Pêché et culpabilité. Va-et-vient historique dans une ambiance à la Claude Chabrol avec l’étroitesse des notables de province, sur fond de montée xénophobe. Déjà. Incarnée par le notaire, fils de notaire, Maître Bertrand Boisard. Lui et ses matchs de tennis dans un genre de Rotary club, ses invitations à déjeuner où il jette les billets de banque sur la table comme d’autres des miettes dans une poubelle. L’arrogance du politicien véreux dans des brodequins de petit marquis qui se dévoile un soir de campagne électorale lorsqu’il pointe du doigt le camp de harkis proche de la ville. Qu’ils viennent de l’usine ou de ce camp, ce sont eux les coupables du meurtre de Sabatier. Il n’y croît pas une seule seconde, Cadalen. Il insiste pour creuser la piste algérienne et celle du magot de l’OAS. Il est passé où ce pognon, ce trésor de guerre amassé par les fous de l’Algérie française. Ce pays où l’auteur n’a jamais mis les pieds mais qu’il décrit pourtant avec une précision de géographe.

L’écrivain tient la corde comme s’il grimpait une paroi lisse à mains nues, tout en force, sûr de lui et de son propos. Rigueur. Pour construire une fiction, Vincent Ejarque ne plaisante pas avec les faits. « Pour certains personnages connus, je me suis basé sur les interviews radiophoniques qu’ils avaient tenus à l’époque ». Mot pour mot. Les scènes qui se déroulent au Courrier du Midi sentent le vécu. Et pour cause. Quelques années passées au Journal du Dimanche. Son imagination a fait le reste. Résultat : un polar dans les règles de l’art et sans forcer le trait.

« Un sang d’encre » de Vincent Ejarque, Ramsay Éditions, 360 pages, 20 euros.

 

 

 

 

« L’Archiviste » d’Alexandra Koszelyk au secours de l’identité ukrainienne

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Elle s’appelle K. Elle est archiviste. Un jour, celui qu’elle désignera toujours comme l’Homme au chapeau surgit dans les profondeurs de sa bibliothèque et lui impose un pacte macabre : réécrire l’Histoire de son pays en faveur de l’envahisseur contre la vie de sa sœur jumelle emprisonnée. Que va, que peut – elle faire ?

« Un pays, une nation une culture », voilà ce que revendique l’Homme au chapeau. La réunification après la destruction. Lorsque j’étais à Kyiv le premier mois de la guerre, en février 2022, je me suis rendue au centre Oleksandr-Dovzhendko. J’y ai rencontré une femme, Olena Honcharuk, la gardienne du temple. C’était à elle de préserver la collection et les archives du cinéma ukrainien, et parfois de décider quelle œuvre serait cachée au cas où les Russes se saisiraient la ville. On le sait aujourd’hui, l’armée de Vladimir Poutine a reculé. La culture cinématographique du pays a été momentanément sauvée. Rien de tel dans « L’Archiviste », le roman imaginé par la romancière Alexandra Koszelyk. Un ouvrage né dans l’urgence de la guerre qui a frappé le pays de ses grands-parents. La jeune femme est enseignante de lettres classiques, Français, Latin et Grec ancien. On imagine le rapport viscéral qu’elle entretient avec le savoir, la culture et les livres. D’ailleurs, K son héroïne ne vit que pour ces merveilles enfouies dans les sous-sols de cette bibliothèque, entourée d’ombres bienveillantes. La tombée de la nuit ne lui fait pas peur, elle n’aime pas tant la lumière. Elle est synonyme de douleur et de souffrance.

Parce que dehors, à l’air libre, sa mère se meurt, sa sœur n’a plus donné signe de vie. Et partout, un paysage de désolation. Les bombes de l’ennemi ont frappé indistinctement, les cimetières se sont remplis, les femmes pleurent en silence et les enfants ne crient plus. Que lui faut-il de plus à cet ennemi jamais rassasié et qu’elle ne nomme jamais mais que l’on devine d’origine russe. Il lui faut une victoire totale, pas seulement celle des armes mais aussi celle du cœur et de l’âme, celle de l’identité d’une nation. Le dilemne est absolu, abyssal. Ce sont les ombres qui vont la guider. Celle du poète Pavlo Tchoubynsky qui par une nuit de mélancolie écrivit l’hymne du tout premier État ukrainien, fondé par les cosaques, en 1649. Mais L’Homme au chapeau est retors. Il veut qu’elle taille dans le vif, dans le sang des souvenirs, là maintenant, tout de suite. Alors, elle falsifie la falsification. Encore et encore, à chaque fois que la petite enveloppe qu’il dépose sur son bureau lui indique la marche à suivre. « Vous êtes une artiste faussaire », lui dit-il, cruellement. Parfois, le vertige la saisit. Déconstruire « Les Âmes de Gogol », qui se moque déjà de l’Empire russe, comment oser ? L’homme au chapeau veut faire comme par le passé. Distribuer ces œuvres remaniées à travers les territoires conquis, donner la chasse aux exemplaires véritables, voire proposer tout simplement à la population extrêmement appauvrie ces ouvrages falsifiés contre de la nourriture. Tout devient vital : une majuscule, un paragraphe, K se lance dans la guérilla du détail. K aide son pays avec d’autres armes, loin du front mais pour les générations futures. Elle écrit à l’encre invisible, elle transforme les ombres, elle est le refuge d’une identité menacée dont le prix n’a pas de prix. L’Homme au chapeau l’attend. Il possède la clé de ses tourments éternels. Il sent le réglisse.

« L’Archiviste » est un cri d’amour pour le pays des ancêtres de l’auteur. Un jour, elle y retournera, elle retrouvera ses racines, sa famille éparpillée. Lorsque la guerre éclate, son fils a 12 ans. Elle avoue ne pas l’avoir élevé  comme elle l’a été, avec une petite musique ukrainienne en arrière-plan. Il n’en a pas eu besoin. Le lendemain du premier jour de la guerre, il a lâché à ses camarades de classe : « Je suis ukrainien ».

« L’Archiviste » d’Alexandra Koszelyk, Éditions Aux Forges de Vulcain, 268 pages, 18 euros.

 

 

« Les datas sanglantes » de Jakub Szamalek

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Il existe des romans qui, mine de rien, fichent la trouille. Et celui-ci en est un. Le deuxième techno-polar de Jakub Szamalek, « Datas sanglantes »,  reprend les personnages de son livre précédent et tourne encore une fois autour des dangers du web. A tel point qu’une fois la lecture achevée, on se dit que la chose la plus sensée au monde serait de disparaître d’Internet et des réseaux sociaux.

La journaliste, Julita WÓjcicka devenue célèbre grâce à son travail d’investigation relaté dans le premier tome, Tu sais qui (toujours aux Éditions Métailié), reprend du service. On la retrouve en petite forme, en couple avec Leon, dans un grand appartement, à Varsovie. « Elle osait pour la première fois se croire adulte ». Assez traumatisée par son enquête précédente, cette surfeuse impénitente n’a et sans surprise qu’une fenêtre sur l’extérieur : Internet. Justement, un message d’outre-tombe la tracasse. Celui du hacker génial, Emil Chorczynski qui avant de se faire sauter le caisson, lui a envoyé des dizaines de gigabits d’information au sujet d’un forum pédophile appelé “ La Cour de récré ”. Elle a beaucoup hésité avant de se décider à l’ouvrir. Elle tombe alors sur un véritable labyrinthe de fichiers assez obscures, à l’exception de celui du 15 novembre 2018 qui ne contient que deux lignes : « un lien vers un article sur le meurtre d’une camgirl de Minsk Mazowiescki et un commentaire laconique : VERIFIE ». Ce qu’elle finit par faire. Ce qu’elle découvre ? Un meurtre en direct. Celui de Hannah B, 29 ans, assassinée par strangulation au cours d’une transmission diffusée par la plateforme MyGreatCams. On y voit aussi un homme cagoulé, une bagarre et une morte. Julita est ferrée. Bienvenue dans le monde du Sex Camming où des filles (les hommes aussi) se déshabillent face caméra pour tous ceux qui préfèrent le cybersex. Ce ne sont pas forcément des professionnelles de la prostitution mais pour quelques dizaines de milliers de zlotys par mois, cela leur permet d’améliorer un quotidien souvent sans grande perspective d’avenir. L’auteur polonais n’oublie pas Jan Tran, Polono-Vietnamien, flic et génie de l’informatique que Julita ne lâche pas d’une semelle. De quoi étoffer le romanesque de l’ouvrage et nous faire oublier toutes les références barbares du langage informatique.

Ailleurs, d’autres veillent aussi devant leur écran. Comme Oleg, d’origine bélarusse et modérateur de profession. Le jeune homme se farcit toute la journée des images plus horribles les unes que les autres. Ce sont pourtant d’étranges messages politiques nationalistes, anti-migrants qui retiennent son attention. Pas tant pour leur contenu que comment ils apparaissent et à quel rythme. « Ils ont atterri à la modération au même moment, ils ont tous été publiés en un quart d’heure ». De quoi en référer à son supérieur.  Oleg est consciencieux, il se souvient de l’élection américaine en 2016. Il sait que sans Internet et les réseaux sociaux, un gars comme Donald Trump n’aurait jamais été élu. La Pologne est en passe de vivre une élection cruciale. Et si la même chose arrivait dans le pays ? Un compte en particulier le tracasse, celui de Zbysek Dembski qui vocifère contre “la vermine de l’Est”. Une photo de profil suggère un beau mec mais lui est familière. Après vérification, il découvre que c’est en fait Jesse Williams, l’acteur de Grey’s Anatomy. Se mêle à cette petite tambouille fictionnelle de l’auteur, une conseillère en communication qui travaille d’arrache-pied pour son candidat tout beau, tout neuf. Mais qui déchante quand elle comprend que le making-off de la campagne électorale commence sérieusement à ressembler à celle du catastrophique Brexit.

Jakub Szamalek parvient encore une fois à construire une intrigue fascinante et rythmée autour d’un thème pas très funky, Internet et ses ramifications. Mais on sent que le propos de l’auteur est ailleurs. Il est dans une démonstration de force qu’il juge salutaire : celle de convaincre le lecteur et le citoyen que la toile mal utilisée, détournée, peut devenir un vrai danger pour la démocratie. La Pologne a pour voisin l’Ukraine, elle connaît parfaitement les agissements de la Russie et son savoir-faire de dingo dans le cyberspace. Des « cyber-elfes » combattent même désormais les trolls russes sur le Net. On n’est plus dans la fiction mais de plein pied dans un monde Orwellien. Devenu tristement réalité.

« Datas sanglantes » de Jakub Szamalek, traduit par Kamil Barbarski, Éditions Métailié Noir, 448 pages, 22,50 euros.

 

 

 

Chez Morgan Audic, personne ne meurt à Longyearbyen 

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La nature a le vent en poupe parmi les nouveautés polars de ce mois de septembre 2023. Si certains auteurs placent leur action dans des contrées tropicales, Morgan Audic, quant à lui, a préféré situer son intrigue là où il fait un froid polaire. Dans l’Archipel du Svalbard, à Longyearbyen, la dernière ville avant le pôle Nord. De quoi claquer des dents autant de peur que de froid.

 Jusqu’ici Lottie veillait à ce que la cohabitation des hommes avec les ours se déroulent calmement. Plus relaxant que son poste à la brigade criminelle d’Oslo qu’elle avait envoyé balader deux ans auparavant. Si ce n’est qu’elle a quelques bagages comme de sérieuses crises d’angoisse qui entravent méchamment son travail et son bien-être. Le corps d’une jeune femme, Agneta Sorensen, 26 ans, docteur en biologie arctique, est retrouvé gisant sur la glace, apparemment griffé, mordu par un ours. Non loin de là, un autre cadavre, celui d’un cachalot d’une quarantaine de tonnes pas vraiment en meilleur état. Comme bouffé par un ours également. Une blessure sur l’animal intrigue la flic Lottie. Sa forme circulaire dans la peau indique qu’il pourrait bien s’agir d’une balle. Et qui n’est pas loin du lieu de double meurtre : les Russes.

Une ville fantôme qui s’appelle Pyramiden. Une splendeur de l’ère soviétique désormais à l’abandon.  Si le mystère est ainsi facilement installé par le romancier Morgan Audric, le contexte géopolitique est tout aussi gentiment expliqué. Il faut remonter à la Première Guerre mondial lorsque la Norvège obtient la souveraineté de cet archipel. Et stipule que tous les pays signataires peuvent tirer profit des ressources du lieu. Seule la Russie avait utilisé cette clause pour exploiter deux gisements de charbon. Mais en 1998, tout s’était arrêté. La nouvelle Russie n’avait pas eu les moyens de la garder en activité. Un hôtel avait été gardé, histoire d’empêcher la Norvège de revendiquer le territoire. Aller chatouiller les moustaches russes n’était pas quelque chose que les forces du coin aimaient particulièrement se coltiner.

Triste timing. Asa Hagen qui avait ouvert une agence d’excursion en mer, le Nordland Safari, gît désormais à la morgue. Selon le médecin légiste, c’est un suicide. Nils Madsen, reporter de guerre, ex-boyfriend et compagnon de route dans la presse, est plutôt sceptique. Ils ne s’étaient pas vus depuis six ans mais il lui semblait bizarre qu’après avoir couverts toutes les zones de guerre de la planète, elle finisse ainsi dans un décor qu’elle avait pourtant choisi et aimé. La mécanique du roman est lancée. Deux histoires parallèles sur fond de saloperie humaine, cette espèce pas très rare qui ne recule devant rien pour s’enrichir coûte que coûte. On est au confluent des intérêts divergents. Ceux qui veulent sauver la nature et ceux qui veulent en tirer parti au maximum quitte à dézinguer les gêneurs qui se trouvent sur leur route. Rondement mené et efficace.

« Personne ne meurt à Longyearbyen » par Morgan Audic, Éditions Albin Michel, 374 pages, 21.90 euros.

« Les Morts de Beauraing » de François Weerts : une Belgique minée par la haine

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Manifestations. La France frémit lorsque le mot est prononcé, les touristes s’interrogent : est-ce bien raisonnable de venir dans ce pays où ils cassent tout. A la lecture des « Morts de Beauraing », on ne peut s’empêcher de pousser un tout petit soupir de soulagement. Chez les Belges aussi, les manifestations dérapent. Et sévèrement. François Weerts est journaliste. Il connaît son sujet. Même s’il a choisi de situer son intrigue en Belgique, quelques éléments comme les enfants-soldats prouvent qu’il a bourlingué. La date de l’attentat est significative : un 15 août. Une fête catholique, l’Assomption. Les images sont effrayantes. « Une jambe nue dépassant d’un linceul de fortune, intacte mais d’une pâleur mortelle. » Les islamistes sont tout de suite dans le collimateur de la police, des médias et de la population. A l’exception de deux lascars qui tiennent une agence de presse à moitié moribonde, Yves Demeulemeester et Léopold Verbist. Des journalistes chasseurs de scoops s’ils ne veulent pas disparaître de l’essoreuse médiatique. Leur enquête les pousse vers une voie inattendue. Celle de cathos ultras, de croisés de l’Apocalypse. François Weerts est un auteur clairement engagé. Pas question pour lui de ne pourrir qu’un seul camp. Les terroristes ne sont pas que musulmans. Mais ce qui fait aussi la force de son ouvrage, c’est la description au scalpel d’une division, voire d’une haine qui habite désormais les citoyens de communauté, de monde, différents dans ce tout pays qui parfois n’a même pas de gouvernement. Comme s’il n’y avait plus de place pour la raison. Il ne s’agit pas de s’aimer, personne n’est obligé d’aller jusque-là, mais de tenter de se comprendre pour ensuite communiquer. Et ce que décrit l’écrivain tend à prouver que les Belges sont eux aussi dans un cul de sac sociétal vertigineux. Comme bien d’autres pays démocratiques.

« Les Morts de Beauraing » de François Weerts, Éditions Rouergue Noir, 319 pages, 22 euros.

 

« Devant Dieu et les Hommes » de Paul Colize

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Paul Colize nous plonge dans un procès d’assise, tenu à Charleroi en 1958 et couvert par une jeune femme pour un quotidien du soir. Un incendie au fond de la mine du Bois du Cazier deux ans auparavant a fait 250 morts. Une véritable tragédie mais la police se félicite, elle a réussi à coffrer les auteurs d’un meurtre sans doute lié à ce drame. Donato Renzini et Francesco Ercoli, deux Italiens venus travailler en Belgique parce que chez eux c’est la misère, sont accusé d’avoir tuer le contremaître. Le quotidien Le Soir est sur les dents, c’est le genre d’histoire qui fait vendre du papier. Alors quand Katarzyna ou encore Catherine Lézin de son nom de plume, est invitée à déjeuner pour la première fois par son rédacteur en chef, elle n’en croit pas ses oreilles. Il l’envoie couvrir le procès de Marcinelle à Charleroi. Elle est méfiante mais ne peut refuser. Les hommes sont majoritaires au journal, on ne laisse pas passer ce cadeau. Empoisonné bien sûr. Un vieux de la vieille l’attend au tournant et lui savonne la planche comme il se doit. Il n’y a que les femmes, âmes sensibles, pour croire que les deux inculpés, Donato Renzini et Francesco Ercoli soient innocents du crime dont ils sont accusés. Pour tous, il ne faut aucun doute que ces hommes sont coupables mais la jeune femme ne s’en laisse pas compter et finaude, devine qu’il y a autre chose. Une femme peut-être ? Avec « Devant Dieu et les Hommes », Paul Colize a choisi de dénoncer la misogynie dans un milieu pourtant supposé ouvert : la presse. Sous des dehors assez légers, le romancier dresse un tableau impitoyable des mâles alpha qui règnent alors en maîtres absolus dans le monde du journalisme de l’époque. On a fait du chemin. Un peu.

« Devant Dieu et les hommes » de Paul Colize, Éditions HC, Hervé Chopin, 315 pages, 19.50 euros.

 

« Au fin fond de décembre » : le blues de Patrick Conrad

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Pas d’étude de mœurs pour Patrick Conrad qui situe son action en 1996. « Au fin fond de décembre » met en musique tous les codes du roman noir. Il y a un ex-inspecteur, Theo Wolf qui s’est vengé du meurtre et viol de sa fille en se faisant justice lui-même. Cela lui a valu quatre années en prison et il vient tout juste de sortir. Il a trouvé un petit boulot d’exterminateur de rats. Mais inspecteur d’un jour, inspecteur toujours. Alors qu’il dératise à tout va, il tombe sur le cadavre d’une femme, sac en plastique sur la tête, dans ce qui semble avoir été un studio de cinéma porno. Il décide d’enquêter. Ce sera la dernière fois, il le sait. De fil en aiguille, il remonte jusqu’au New Star Trek, un night-club un peu pourri qu’il a connu par le passé. Il retrouve même des figures de cette vie-là. Le soir, il rentre chez lui, épuisé, mais quand sa voisine qu’il épargne pourtant peu, vient le chercher pour dîner ensemble, il délaisse sa solitude et partage celle de Martha. On sent chez l’auteur un penchant pour ceux dont la vie ne s’est pas montrée tendre. Une galerie de portraits de gens cabossés et un inspecteur fasciné par le corps en décomposition qu’il a trouvé et qu’il ne veut plus lâcher. Le romancier aime la nuit interlope d’Anvers et les crimes qui s’y dissimulent. On est dans le vrai Noir. L’auteur méconnu en France occupe pourtant une place importante de la scène artistique belge. Poète, romancier mais aussi scénariste. Qui irait glisser le nom de Hayden Sterling, acteur d’Hollywood et auteur d’un roman génialissime (Voyage chez Rivages) au détour d’une phrase si ce n’est un connaisseur du 7ème art.

« Au fin fond de décembre » de Patrick Conrad, Éditions Actes Sud/Actes Noirs, 288 pages, 22.50 euros

 

« Lorsque tous trahiront » de Pierre Olivier ou la mise en abîme de l’âme humaine

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La LFD. La Légion des volontaires français partis se battre en ex-URSS contre le bolchévisme, dans les rangs et sous l’uniforme allemands. Un moment de l’Histoire française pas facile à aborder. C’est pourtant le pari audacieux et réussi de l’historien Pierre Olivier qui est le premier lauréat du Prix du roman d’espionnage créé par l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (AASSDN) et coédité par La Manufacture de livres et Konfident. Au fond, qui de mieux que des anciens agents de renseignements pour nous parler de trahison. C’est exactement le fil rouge de ce livre court, sec et efficace.

 » L’important, pour une organisation clandestine, c’est le cloisonnement « . Le b.a.-ba de l’espionnage ou du contre-espionnage. Monter une cellule sans qu’une autre soit mise au courant. Leçon de choses pour une bande de collabos. Mais l’annonce tombe, violente.  » Le chef est mort « . Jacques Doriot, le « Grand Jacques », le grand traître de la nation française. Ex-numéro 2 du Parti communiste français, fondateur et chef du parti populaire français, le PPF, retrouvé mort, criblé de balles par un chasseur allié en maraude. « Quatre balles. Deux dans les jambes, une dans le dos. Et une autre, qui a atteint le poumon, le foie, les intestins et qui a occasionné à sa sortie la fracture du bassin et de la tête du fémur ». Mais certains doutent et pensent qu’il n’est pas mort tout seul, qu’on l’a bien aidé. A partir de ce moment-là, le grand jeu de dupes et le bal des espions commencent. Le « Grand Jacques » a – t – il été victime d’un complot, liquidé par ses « amis » ? Le narrateur a combattu sur le front russe. Il hait le bolchévisme. Il a porté et porte encore l’uniforme nazi. Au début, il était gêné, plus maintenant. Alors que le régime est en pleine déroute et vit ses derniers jours, le narrateur est de cette espèce qui ne croit plus mais continue à obéir.

A Roland Nosek, officier SS, qui se rêvait de finir diplomate, une fois Paris mise sous cloche nazie. Mais la fin de la guerre qui approche a déjoué ses plans. Il lui reste une affaire délicate à régler. Il demande au narrateur de s’en charger. D’enquêter sur un soi-disant traître à la cause du Reich. La contrepartie ? La remise en liberté de la mystérieuse Louise Delbreil. Que doit-il faire ? Espionner bien sûr, un agent double devenu triple. Et Doriot dans cette équation trouble comme l’eau du bain ? Autant de questions auxquelles le narrateur, trimballé de chef en chef, est confronté.

Billard à mille bandes, le roman de Pierre Olivier nous entraîne dans les méandres de la duplicité. Qui sont les bons et les méchants ? Il n’y en a pas comme toujours, ce sont tous des loups-garous. Qui se transforment au clair de lune pour mieux vous avaler et vous recracher, modifiés, nus comme des nouveau-nés, prêt à l’emploi. Prêts à trahir. « Parce qu’on est toujours le traître de quelqu’un ».

« Lorsque nous trahirons », de Pierre Olivier, Éditions La Manufacture de livres, 204 pages, 16,90 euros.