« Précis de survie stratégique »

« Précis de survie stratégique ». En ces temps troublés, jamais un ouvrage n’a aussi bien porté son nom. Sous la direction d’Adrien Jaulmes et de Lucas Menget, des spécialistes de renom du monde de la recherche, des militaires ou encore du journalisme ont analysé de façon clinique les menaces qui pèsent sur nos sociétés sans pour autant dresser « une liste de scénario-catastrophes » comme le soulignent les deux auteurs dans leur introduction. La planète est ainsi passée au crible avec de sérieux arguments, bien loin de la cacophonie de certains débats à la télévision. Le livre ouvre assez naturellement sur le conflit qui se déroule depuis le 24 février 2022, en Ukraine sous la plume de Jean-François Bureau, spécialiste des questions de défense européenne. L’attaque surprise et brutale des forces russes de Vladimir Poutine a ébranlé les certitudes des Européens qui se croyaient à l’abri d’une guerre depuis plus d’un demi-siècle. Au cœur de cette équation, le rôle de l’OTAN. Le spécialiste rappelle « qu’aucun État membre ne peut escompter disposer seul des ressources nécessaires pour faire face au risque de guerre en Europe tout en assumant ses obligations de membre de l’Union et d’allié de l’OTAN ».

Le grand jeu, avec l’Afghanistan et l’Iran, n’est pas oublié sous la plume avertie de Jean-Pierre Perrin qui connaît son sujet sur le bout des doigts. Quant à la chercheuse Agnès Levallois, elle s’est occupée de la Turquie. Le cas de l’Inde et de la Chine illustre parfaitement la fragilité des alliances. « Pendant plusieurs décennies les exercices militaires en Inde s’inscrivaient dans la perspective d’un conflit avec le Pakistan, écrit Gilles Boquérat, spécialiste de l’Inde. Ce dernier est dorénavant perçu comme une nuisance, la vraie menace vient de la Chine qui occupe une place centrale dans le discours militaro-stratégique indien ». La Chine encore avec Taïwan dans le viseur. « Si les parallèles avec l’Ukraine sont fréquents, explique Antoine Bondaz, chercheur directeur de l’Observatoire multilatéralisme en Indo-Pacifique, une guerre n’est en rien inévitable ». Rien de très rassurant non plus du côté des continents africains et sud-américains. Mais c’est sans doute avec « le cinquième milieu » comme le désigne le colonel Alexis Rougier, chef d’état-major du Commandement de l’espace, que le constat est le plus vertigineux. L’espace n’a pas de frontière donc pas de lois. C’est le nouveau Far-West ou encore le New Space. « Dans ce milieu si singulier, souligne le colonel Rougier, les menaces qui s’y développent sont souvent hybrides, dans un mélange ambigu entre activités civiles et militaires. L’éventualité d’une confrontation ne peut plus être écartée ».

L’ouvrage est sorti avant l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier. Il décrit avec beaucoup de clarté les différentes façons de conduire une guerre que pourraient mener toutes les grandes puissances de ce monde si par malheur, elles se décidaient à entrer dans la danse d’un conflit. Ainsi le dossier israélien est-il parfaitement traité sous l’angle iranien par la journaliste Gwendoline Debono. Mais la tragédie qui a entraîné la mort de 1200 personnes sur le sol israélien interpelle à plus d’un titre. Il est peu vraisemblable, en effet, que l’utilisation d’ULM figure dans les manuels de guerre conventionnelle ou de guérilla urbaine. Le Hamas vient de démontrer qu’avec du temps, un réservoir humain quasi inépuisable, et surtout beaucoup d’imagination, on peut combiner armement classique fourni « free of charge » par les Iraniens et un modus operandi inédit. Une combinaison aussi audacieuse que mortifère et qui ne fait qu’accroître le sentiment de peur diffus que les menaces se dissimulent désormais absolument partout.

« Précis de survie stratégique » sous la direction d’Adrien Jaulmes et Lucas Menget avec la préface de Loïc Finaz, Éditions Équateurs Documents.

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