« Un sang d’encre » de Vincent Ejarque : roman noir dans les brumes françaises et algériennes

Il arrive les mains dans les poches, la coupe de cheveux très militaire. Vincent Ejarque va parler de son deuxième livre. Longtemps, avec passion et générosité. « Un sang d’encre » ne doit rien au hasard. On y retrouve l’Algérie, déjà présente dans son précédent ouvrage. Son grand-père, lieutenant de gendarmerie, y est mort. Il n‘avait que 38 ans. Tombé dans un guet-apens orchestré par d’autres Français au terme de son sixième séjour. Et la presse. Celle que le journaliste/écrivain aime tant. La double mémoire. La grande Histoire et la plus petite, la famille. Fort de cet héritage, il a écrit un roman policier passionnant sur une époque toujours mal digérée des deux côtés de la Méditerranée. « Cela reste un sujet hautement inflammable », dit-il, raide et soucieux.

« Ce que j’aime ce sont les moments de bascule, ceux qui font que l’Histoire s’emballe ». Alors, il nous emmène quelque part dans le sud-ouest de la France – une volonté de l’auteur de ne pas être plus précis pour souligner l’universalité du projet – sur une route qui ne va nulle part. Cinq hommes à bord d’une Renault. Partis pour un rodéo mortel et le visage cagoulé. Ils se rendent chez Jean-Jacques Sabatier. Ils trouvent la femme et les enfants. Ils les dézinguent salement. Une entrée en matière aux petits oignons. Violente et sanglante. Le romancier ne s’en cache pas. Il s’est inspiré de la fameuse Tuerie d’Auriol en 1981. Il enchaîne sur un enterrement, un retour aux sources pour l’un des personnages phares, Cadalen, journaliste talentueux qui vivote pourtant à Paris depuis deux ans. Ce dernier est venu assister aux funérailles d’un camarade de régiment. Il ne compte pas s’éterniser.

Mais il existe un journal d’importance dans le coin : le Courrier du Midi avec à sa tête un rédacteur en chef haut en couleur. De ceux que l’on ne fait plus. Robert Malvy a besoin de sang neuf et d’exclusivités. C’est une offre d’emploi. Les deux hommes grimpent dans les étages, traversent les différents ateliers : photocomposition, typographie et photogravure. Puis salle de rédaction, bureau et tiroir. Johnnie Walker et Camel. Si Vincent Ejarque a deux amours, c’est bien l’Algérie et le journalisme. Mais un journalisme de seigneurs, lorsque tout était permis et que le mouvement woke n’était pas encore né. Vincent Ejarque ressemble au Petit Poucet, il sème ses cailloux et glisse des indices que certains reconnaîtront. Comme le photographe Armand. Un hommage en creux à quelqu’un qu’il a connu à ses débuts dans la presse. Il y a beaucoup de nostalgie chez ce grand gaillard de 51 ans lorsqu’il évoque cette période. En attendant, Cadalen fait le malin mais finit par accepter de couvrir le massacre de la famille Sabatier.  Après tout, qu’est-ce qui l’attend à Paris. Le scoop du siècle ? Mais il prévient, « dès que les gendarmes ont mis la main sur ce Sabatier, tchao ».

Nous sommes en 1983. Une date que l’on aurait dû prendre beaucoup plus au sérieux, selon l’auteur. « Parce qu’en tant que citoyen, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, découle directement de toutes les décisions économiques et politiques prises au cours de cette année-là . Il y a eu la rigueur imposée par le ministre de l’Économie de l’époque, Jacques Delors, et le tournant libéral pris par le Parti socialiste. Les entreprises ont été lâchées. En 1983, il y a aussi des élections municipales cruciales au cours desquelles pour la première fois, Jean-Marie Le Pen désigne les immigrés comme boucs émissaires. On est en plein marasme social et dans les usines automobiles comme celle d’Aulnay notamment, on découvre une marée d’immigrés ». Le Pen explose et le corps de Jean-Jacques Sabatier est retrouvé dans la campagne. Tout est habilement ficelé chez Vincent Ejarque. Pas de pathos. « Je revendique une écriture behavioriste. Pas de psychologie. Les actions sont ce qu’elles sont ». Sabatier travaille à la Française de mécanique automobile, la grosse usine du coin. « Deux mille ouvriers, pas mal d’Arabes ». Il encadre le service d’ordre et le syndicat maison de l’entreprise. A priori un bon gars sans histoire, un peu gros bras mais sans plus. Alors pourquoi s’attaquer si sauvagement à sa famille ? Le corps de Sabatier est finalement retrouvé dans la campagne.

L’enquête journalistique qui part d’un fait-divers saignant et local bifurque doucement sur des sables mouvants et algériens. Une sale période qui vient encore hanter les nuits de Cadalen. Cauchemars, cris et suées dans la nuit. Cette fois-là, lorsqu’il a perdu toute humanité. Le visage, le corps de Chanez, caressée puis torturée et abattue. Pêché et culpabilité. Va-et-vient historique dans une ambiance à la Claude Chabrol avec l’étroitesse des notables de province, sur fond de montée xénophobe. Déjà. Incarnée par le notaire, fils de notaire, Maître Bertrand Boisard. Lui et ses matchs de tennis dans un genre de Rotary club, ses invitations à déjeuner où il jette les billets de banque sur la table comme d’autres des miettes dans une poubelle. L’arrogance du politicien véreux dans des brodequins de petit marquis qui se dévoile un soir de campagne électorale lorsqu’il pointe du doigt le camp de harkis proche de la ville. Qu’ils viennent de l’usine ou de ce camp, ce sont eux les coupables du meurtre de Sabatier. Il n’y croît pas une seule seconde, Cadalen. Il insiste pour creuser la piste algérienne et celle du magot de l’OAS. Il est passé où ce pognon, ce trésor de guerre amassé par les fous de l’Algérie française. Ce pays où l’auteur n’a jamais mis les pieds mais qu’il décrit pourtant avec une précision de géographe.

L’écrivain tient la corde comme s’il grimpait une paroi lisse à mains nues, tout en force, sûr de lui et de son propos. Rigueur. Pour construire une fiction, Vincent Ejarque ne plaisante pas avec les faits. « Pour certains personnages connus, je me suis basé sur les interviews radiophoniques qu’ils avaient tenus à l’époque ». Mot pour mot. Les scènes qui se déroulent au Courrier du Midi sentent le vécu. Et pour cause. Quelques années passées au Journal du Dimanche. Son imagination a fait le reste. Résultat : un polar dans les règles de l’art et sans forcer le trait.

« Un sang d’encre » de Vincent Ejarque, Ramsay Éditions, 360 pages, 20 euros.

 

 

 

 

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