Il y aurait donc du terrorisme acceptable et du terrorisme inacceptable. C’est du moins la question que pose le colonel Karim Soltani à la légende de la lutte pour l’Indépendance algérienne, la veuve et fidaïa, Zahra Mesbah, alias Dolores de son nom de guerre. Il aime bien les questions qui fâchent, le colonel Soltani. Le récit d’Amara Lakhous se déroule à l’ombre de l’Histoire mouvementée du pays. On y retrouve les acteurs centraux et ceux en arrière plan, inconnus du grand public. Rarement des gentils. Comme l’atteste le meurtre de Miloud Sabri, qui fut un temps une autre légende de l’Algérie libre.
Alors pourquoi, en plus de l’avoir égorgé, lui a-t-on coupé le nez le jour de la fête de l’Indépendance, le 4 juillet 2018. El-nif, le symbole de la dignité et de l’honneur. Le couper signifie que la personne a trahi. “ Le meurtre de Sabri, se demande le colonel Soltani, vient-il régler un contentieux remontant à la guerre ? “ Et pourquoi laisser le couteau sur place ? On ne se débarrasse jamais du passé. Et celui de l’Algérie est lourd. Entre le conflit qu’elle a mené contre la France pour sa liberté et la guerre civile qui a fait des milliers de morts algériens dans les années 90, la terre du colonel Soltani est gorgée de sang. Par où commencer ? Aidé de ses deux plus fidèles adjoints, la lieutenant Malika Derradji et le capitaine Samir Ziane, Soltani part en chasse, lui qui a réussi à rester propre, une gageure dans un pays rongé par la corruption.
On décrit souvent Alger dans les romans policiers. Le romancier a choisi Oran. La ville la plus européenne de l’Algérie. Justement, la magnifique villa où a eu lieu le meurtre appartenait à un ancien colon français parti depuis longtemps. L’endroit a de quoi interpeller. Comment Miloud Sabri, surnommé La Huppe, a-t-il pu s’offrir un tel bijou? Plus le trio de policiers creuse et plus le macchabée se révèle moins reluisant que son CV officiel. On comprend que ce Miloud Sabri a collé aux événements historiques de son pays pour mieux en tirer profit. Qu’importe les morts d’innocents, l’important est de garder le pouvoir. Et s’il faut passer des libérateurs au Fis (Front islamique du Salut) en utilisant ce jeune islamiste de Badro Bouzar, pas question d’hésiter. Fervent lecteur des œuvres d’un certain Abdallah Azzam, cheikh et concepteur originel de la base, Al Qaïda, au Pakistan avant de s’associer à Oussama ben Laden dans son combat contre l’Occident, ce Badro Bouzar incarne cette religiosité dévoyée sur laquelle les services algériens ont surfé sans état d’âme. Comme ce Miloud Sabri qui a su soutenir au gré de son feeling tel ou tel mouvement. Mais quel impair a-t-il commis et qui a précipité sa chute ? Soltani qui aime une divorcée tyrannique, se moque du passé. Il a un assassin à mettre sous les verrous avant de retourner auprès de sa volcanique créature.
L’auteur, Amara Lakhous, est un citoyen du monde. Né en Algérie, il a vécu longtemps en Italie. Aujourd’hui, il est professeur à l’université de Yale, aux États-Unis. Il écrit en italien, en anglais et en arabe. « La Fertilité du Mal » est le premier traduit de l’arabe en français. Belle initiative des Éditions Actes Sud/Actes Noir.
« La Fertilité du Mal » de Amara Lakhous, traduction de l’arabe (Algérie) Lofti Nia, Éditions Actes Sud/Actes Noir, 288 pages, 22,50 euros.