« Une locataire si discrète » de Clémence Michallon : Méfiez-vous des jolis garçons

L’emprise. Qui commence toujours par un abus, en l’occurrence un kidnapping. Celui de la femme dans le cabanon. Nous sommes dans l’Upstate New-York. Le kidnappeur l’appelle Rachel. La kidnappée se souvient qu’avant, elle était une femme avec un autre nom.

Clémence Michallon est française mais a voulu écrire en français. Cela lui a pris dix ans. Pour son premier thriller, « Une locataire si discrète », la jeune femme de 28 ans a donc choisi la langue de Shakespeare. Véritable coup de poing littéraire, le roman fonctionne quasiment sur le mode du dédoublement psychanalytique. L’utilisation du « tu » permet à la victime de se distancier d’elle-même comme pour atténuer la douleur ou lui offrir la possibilité de ne pas devenir folle. On retrouve la même mise à distance chez le bourreau qui fonctionne très bien tant que l’objet de sa folie reste dans le cabanon. La mécanique se grippe lorsqu’il doit déménager donc cesser de compartimenter, et composer avec sa propre fille et sa « locataire ». Très habilement, la romancière intitule ses chapitres ainsi : « Numéro un, Numéro deux puis trois », pour les femmes qu’il tuent. Puis « La femme dans la maison », « La femme en mouvement », lorsqu’elle désigne la captive. Clémence Michallon nous parle de pouvoir. À quel moment une femme subit, encaisse, se couche puis se relève. Jusqu’où un homme est-il capable de se perdre pour affirmer un droit qu’il est le seul à revendiquer.

« Règle numéro un pour rester en vie dans le cabanon : c’est toujours lui qui gagne. Depuis cinq ans, tu fais ce qu’il faut pour ». L’affrontement est très vite posé. Il est le plus fort. Mais elle sait ce qu’il faut faire pour survivre. Les autres, il les a tuées. La ligne de crête est étroite. Une barmaid entre dans la danse. Emily attend que Aidan Thomas franchisse le seuil du bar. Elle sait qu’après elle se sentira plus légère. Il a bonne réputation Aidan Thomas, apprécié de toute la communauté. Il vient tous les mardis et jeudis. « Il est si beau, il a tant fait pour la ville et il a perdu sa femme, il y a un mois ».

Mais Aidan a déménagé. Il est contrarié. Elle lui dit qu’elle est désolée. Il s’énerve. « Règle numéro d’eux pour rester en vie dans le cabanon : lui a toujours raison et toi tu es toujours désolée ». Il a une fille, Cecilia, 13 ans. Il l’élève seul, depuis que son épouse est morte. Un joli prénom penses-tu. « Qu’il n’aurait jamais dû lui révéler ». Dans sa toute-puissance, Aidan Thomas va mettre en application l’impensable. Faire croire à sa fille que dans leur nouvelle maison, il y aura une locataire. Discrète. Au début.

Il pose un verrou sur la porte mais il l’autorise à prendre son petit déjeuner. La confiture lui fait mal aux dents, elle n’a pas vu un dentiste depuis cinq ans. Il lui dit qu’il y a des caméras. Il est le Tout-Puissant. Pas la peine d’essayer de fuir. Il l’a attaché au radiateur. Le trio improbable trouve ses marques. Le lecteur regarde, fasciné. Comment a-t-elle fait, Clémence Michallon, pour nous faire avaler cette histoire de dingue. Pourquoi ne s’enfuit-elle pas cette Rachel, quand elle le peut. Peut-être parce que dans la maison, les règles ont changé. Tu les a changés. Il fallait au moins ça pour survivre.

Clémence Michallon détricote le mécanisme de l’emprise. Par petite touche, Rachel prend possession de ce nouveau lieu, de ce nouveau moi. Elle attend en embuscade, elle guette les signes d’une victoire que lui ne voit pas venir. Elle deviendra la femme dans le pick-up, la femme proche du but, la femme avec un nom. Lui cessera d’être au centre de sa vie, en exclusivité. Il est temps que les gens sachent vraiment qui est Aidan Thomas. Parce que qui ne connaît jamais assez ses proches, ses amis ou ses voisins ? Clémence Michallon s’est sans doute inspirée de faits-divers analogues. La réalité alimente la fiction que l’écrivaine a porté à bout de souffle, jusqu’à éteindre le feu du Mal invisible. Méfiez-vous des garçons propres sur eux.

« Une locataire si discrète » de Clémence Michallon, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, Éditions Fayard, 450 pages, 23 euros.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.