« Le Diable sur mon épaule » : le nouveau barrio noir de Gabino Iglesias

ll faut avoir le cœur bien accroché avec Gabino Iglesias. Le gars n’y va pas avec le dos de la cuillère. Entre magie noire, trafic de drogue, cartel mexicain et junkies azimutés, « Le Diable sur mon épaule » vous envoie direct dans les cordes. L’écrivain américain qui vit à Austin, Texas, véritable chantre du barrio noir et allumé total, signe un roman plus sombre que jamais. Parce que « le problème de l’humanité, c’est que quelles que soient les horreurs qu’on imagine, elle sera toujours capable de faire pire. »

Le point de départ de l’histoire est assez banal : comment se faire un maximum de blé en un temps record avec le voisin mexicain de Juarez et ses tonnes de drogue qui passent chaque année du côté Yankee. Ce sont comme toujours les protagonistes qui font toute la différence. Comme Mario qui a perdu la prunelle de ses yeux, sa fillette Melisa, faute d’argent afin de pouvoir payer les frais d’hospitalisation, et dont le mariage avec Anita part à vau l’eau. Le meilleur des scénarios pour accepter le pire des plans foireux. Sous les traits de Brian, un « gabacho » désespéré et un ancien collègue devenu dealer, accessoirement futur papa. Pour la somme de 6000 dollars, il offre un petit boulot vite fait à Mario qui consiste à jouer les sicarios et à dégommer un gars qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Mission accomplie. Mario y prend même du plaisir.

Ce qui l’amène à rempiler. Cette fois, le tandem va s’étoffer, passer au trio et faire entrer dans la danse, el diablo en personne. Juanca, diminutif probable de Juan Carlo. Avec lui, Mario passe tout de suite dans la cour des grands, lui qui n’a qu’un malheureux mort à son actif.  « On sera en mission pour don Vasquez », lui explique Juanca. Don Vasquez, le mystérieux boss du cartel de Juarez. Rien que d’évoquer ce patronyme, Mario déglutit. Il est clair que le Juanca n’est pas un tocard. Mais quand-même. Si le plan consiste « à intercepter un véhicule bourré de pognon au milieu du désert, massacrer tous ses occupants façon Far-West, puis conduire le fameux véhicule jusqu’à Juarez pour le livrer à qui.. » Mario a de sérieuses réserves. Mais doscientos mil cada uno, deux cent mille dollars divisés par trois, en liquide pour un seul contrat ? C’est le pactole, le début d’une nouvelle vie, le retour possible d’Anita. « Avec autant d’argent, on pouvait obtenir tout ce qu’on voulait. »

Reste un détail à régler. En réalité, il y en aura beaucoup d’autres et l’affaire ne tournera pas comme c’était prévu. En attendant, les narcos, c’est comme les sportifs, de grandes choses fragiles qui croient en Dieu. Juanca n‘est pas différent. Il explique à ses deux acolytes de circonstance qu’avant de se lancer dans cette aventure de l’extrême, il leur faut d’abord recevoir la bénédiction de El Migralito. Donc faire un petit cochet par chez Sonia La Protectora. À ce stade de sa propre histoire, Mario est comme frappé par la foudre, incapable de penser droit, incapable de réagir. Lorsqu’il pénètre alors dans la chambre des horreurs, ce qui ressemble à un gamin gît, bavant, la bouche en forme du Cri de Munch, sur un matelas crasseux. Sonia La Protectora se penche au-dessus de l’enfant et s’empare d’un coupe-boulon. L’idée de base est assez simple : considéré comme un porte-bonheur pour tous les illuminés du coin, chacun veut sa part de cet enfant miracle. Je vous laisse découvrir la suite. Le diable sautille sur l’épaule de Mario.

Quand il écrit ce roman, l’auteur ne va pas très fort. Il vient de perdre son boulot de prof et la couverture santé qui va avec. Une protection essentielle aux USA. La maladie de la fillette n’est donc pas seulement un élément de fiction, elle repose sur une réalité que Gabino Iglesias dénonce en imaginant des personnages prêts à tout par désespoir. Les crocodiles remplacent les hippopotames de Pablo Escobar et une des scènes au restaurant n’est pas sans rappeler Reservoir Dogs et ses hommes en noir qui ergotent pour un malheureux dollar de pourboire. Là, ce n‘est pas l’argent qui fait débat mais le racisme. Celui qui est franc et sans filtre, et l’autre plus insidieux et que l’on a intégré bien malgré soi. Parce que si Gabino Iglesias a choisi le gore pour cette fiction, il n’en reste pas moins que « Le Diable sur mon épaule » relève tout à fait de la charge contre une Amérique raciste qui broie les individus les plus faibles et exhibe la violence comme le mètre-étalon d’une réussite implacable.

« Le Diable sur mon épaule », de Gabino Iglesias, traduit par Pierre Szczeciner, 336 pages, 22 euros.

 

 

 

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