La division ne date pas d’hier au pays de l’Oncle Sam. Le dernier roman de Thomas Mullen nous le rappelle avec beaucoup d’acuité. « Le Jeu de la Rumeur » est la nouvelle saga de l’auteur américain dans la même veine que la précédente trilogie d’Atlanta. Mais cette fois, il a porté toute son attention sur la ville de Boston où certains quartiers étaient de vrais bastions catholiques et nazis durant la Seconde Guerre Mondiale.
Tout part d’un cadavre qui ne relève même pas des attributions ordinaires du FBI. Parce que ce que le Bureau de Edgar Hoover traque dans toute l’Amérique, ce sont les nazis et autres affiliés du même acabit. Le macchabée à l’heure où il est retrouvé, demeure une énigme : nazi ou tué par un nazi ? Le tandem des G-Men (surnom) qui fouille la victime sort du casting ordinaire des hommes du Bureau. Si Lou Loomis est un WASP (White Anglo-Saxon Protestant) bon teint, Devon Patrick Mulvey est le deuxième catholique irlandais à avoir travaillé à l’antenne de Boston. « Le patron du FBI préférait les hommes issus d’une famille ayant un certain passé, et les papistes avaient longtemps été considérés comme aussi suspects que les juifs ou les anarchistes. Si Devon était né dix ans plus tôt, il n’aurait jamais été embauché ». Bienvenue en Amérique de 1943.
La jeune journaliste Anne Lemire tient une rubrique dans le journal Le Star qui s’intitule « La Clinique des Rumeurs » et dont l’objectif principal est de battre en brèche toutes les rumeurs ou autres ragots, pouvant circuler à Boston. Elle habite aussi dans le quartier Ashmont, majoritairement peuplé de familles juives venues d’Europe de l’Est. Les catholiques et les juifs ne se mélangent pas. Pourtant, elle et Devon vont bel et bien se croiser et vivre une histoire d’amour compliquée.
Le cadavre a désormais un nom. Il s’appelle Abraham Wolff et il travaillait pour l’usine de Northeast Munitions qui participe à l’effort de guerre vital de l’Amérique dans sa lutte contre le nazisme, en Europe. Son meurtre est-il lié à un complot d’un communiste, japonais ou allemand dissident, contre le pays ? Devon devrait lâcher l’affaire mais il sent qu’il y a quelque chose derrière tout ça. Anne va finir de le convaincre.
Le roman de Thomas Mullen jette une lumière crue sur le peu de cas que font les hommes de presse face à la gent féminine. Anne se débat autant face aux préjugés de son rédacteur en chef que contre l’antisémitisme de l’époque. Ce que décrit l’auteur est édifiant. Des pamphlets anti-juifs qui dépassent des boîtes aux lettres de quartiers entiers, des fenêtres brisées à une synagogue ou encore chez un boucher casher ou la devanture d’une librairie. Des ratonnades fréquentes et des habitants de confession juive terrorisés. Qui se souvient encore de cette Amérique où les piscines étaient interdites aux noirs, aux juifs et aux chiens.
Devon vient d’une famille catholique. Il n’a pas forcément le bon pédigrée aux yeux des WASP, mais cela reste toujours mieux que d’être juif. En tout cas, son père, qui fut un banquier avec pignon sur rue, ne les porte guère dans son cœur. Il fricote sévèrement avec une mouvance nazie qui intéresse autant son fils Devon que la journaliste Anne. Devon va devoir faire face à l’épineuse question de la loyauté : celle à sa famille ou à son pays. Portée par une histoire romantique qui tourne court face aux réalités politiques, « Le Jeu de la Rumeur » fait écho à ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis, à cette dangereuse division qui recommence à miner le pays.
« Le Jeu de la Rumeur » de Thomas Mullen traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Bondil, Éditions Rivages/Noir, 512 pages, 24 euros.