La forêt de Mâchecombe. Source de tous les fantasmes. Ce n’est pas ce qui va arrêter Alix, la policière municipale fraîchement nommée. Son collègue et ami Christophe a disparu. Le seul d’entre eux à ne pas craindre ce massif forestier dont une vaste partie est interdite au public depuis 1920. La jeune femme décide de braver ces superstitions populaires sans fondement afin de le retrouver. Elle a tort.
Jérôme Camut et Nathalie Hug sont tous deux scénaristes. Ceci explique peut-être cela. Un sens du rythme et des dialogues punchy, une histoire très cinématographique. Le couple vedette de cette intrigue n’échappe d’ailleurs pas à la comparaison avec Tarzan et Jane. Pas grave. L’histoire des deux romanciers est sacrément bien ficelée, les personnages masculins sont aussi sombres que lumineux et la jeune Alix Ravaillé possède ce qu’il faut de force et de faiblesse pour incarner une magnifique héroïne des temps modernes crédible.
Les Pyrénées. Un bouquet à la main. Alix se recueille sur la tombe de sa mère Solange, morte dans un incendie. Son père, Robert Ravaillé, est un époux à peine vivant depuis la disparition de sa femme. « J’ai demandé la main de votre main sur ce belvédère, il y a vingt-six ans, dit-il, à ses enfants, Alix et Noa, neuf ans. Une promesse d’amoureux ». Charmante image d’Épinal. Un père endeuillé élevant seul sa progéniture. Au loin, on aperçoit la forêt mangeuse d’hommes. « Les anciens prétendaient même que la Mâchecombe avait dévoré une section de la Waffen-SS en 1943 ». C’est dire la dangerosité de cette étendue de verdure sauvage. Peu importe, l’amitié possède des règles intangibles dans le monde d’Alix. Elle s’engage, seule, et sans peur dans ce qui leur fait peur à tous, au village.
Un homme, derrière ce bouclier de végétation, est aux aguets. Il s’appelle John et a une façon bien à lui de penser, réfléchir et de s’exprimer. Il dit de lui, « Je suis le dieu dans l’ombre. Je suis celui qui court sous les couleurs de la Lune, puis je suis aussi le dernier humain ». Lorsque Alice se réveille quelque part dans cette prison végétale, elle le découvre et le prend d’abord pour un fou. « Quel genre de malade mental parlait ainsi de lui ? » Elle sait qu’elle est prisonnière, qu’elle a échoué dans sa mission. La forêt l’a englouti. Elle est aux mains d’un individu qui la surnomme « Blanche-de-Lune ». Elle le craint mais elle est intelligente et commence à l’amadouer. Elle ne sait pas encore que l’amour est bout de cette aventure insolite. Pendant ce temps, son père, ce veuf éploré que tout le monde plaint, la recherche avec frénésie. Il découvre un trafic d’or et des corps, 27, dissimulés dans cette forêt de Mâchecombe. Il a déjà perdu sa femme, il ne supportera pas de voir sa fille disparaître.
John est perturbé, il assouplit les conditions de détention d’Alice. Il lui donne correctement à manger et à boire. Et surtout, il lui raconte. Comment et pourquoi il se cache derrière ce rideau vert. Comment son père, un docteur marginal, a choisi de se retirer d’un monde qu’il considère aller à sa perte. Tour à tour mystique et survivaliste, « Loin de la Fureur du Monde » est une réflexion sur notre univers capitaliste jamais rassasié, et la création d’un homme nouveau, dénué de mauvaises intentions, ne vivant que de ce que lui offre la forêt. Roman initiatique dans lequel la jeune Alice va à la recherche d’une vérité forcément douloureuse. Un conte pour grandes personnes où l’amour transcende l’avidité des hommes. C’est aussi une formidable intrigue où les gens ne sont pas ce qu’ils ont l’air. Le personnage de John est hypnotique, il lui manquait une Jane. Il l’a trouvé en Alice à qui il laisse du temps pour le découvrir toute seule. Comme quelqu’un habitué à vivre au rythme des saisons et de ce qu’elles apportent. Juste ce qu’il faut.
« Loin de la Fureur du Monde » de Jérôme Camut et Nathalie Hug, Éditions Fleuve Noir, 496 pages, 21.90 Euros.