« Quand l’Abîme te regarde » d’Éric Emeraux : sur la trace des criminels de guerre

« Il n’y a pas de guerre sans crime de guerre. » Éric Emeraux signe son premier thriller. L’auteur du formidable, « La traque est mon métier », creuse toujours le même sillon. La chasse aux criminels de guerre et sa devise pourrait bien être : ne jamais rien lâcher. Parce qu’on finit toujours par les coincer.

Quel rapport entre un vol chez un riche Américain à Paris, un groupe de braqueurs aux tatouages évocateurs, un chasseur de criminels de guerre et un groupuscule d’extrême-droite ? Une convergence d’intérêts basée sur un nationalisme rance, une soif d’argent et de pouvoir et un pseudo affrontement Est/Ouest. Miroslav ouvre le bal. Il est en route pour un dernier tour de piste. Le boss lui a promis. Après, ce sera l’Australie. Un boulot précédent avec la milice Wagner lui a permis de se remplir les poches. Les gars du moment avec qui il fait équipe, s’appellent Darko, Branimir et Bogdan. Aleksandra est la cerise sur le gâteau, la clé du bureau d’un certain Andy Wright, collectionneur d’œuvres d’art. Lorsqu’elle prend par surprise le bonhomme, Aleksandra qui se faisait passer pour la bonne, a des arguments. Couper les couilles par exemple. Pas pour rien qu’elle est surnommée la Veuve. Andy Wright ouvre le coffre. À l’intérieur, il y a une boîte que la dame doit rapporter au boss. Mais l’entreprise menée tambour battant par la petite bande déraille, un flic, un vrai, est blessé, Miroslav aussi. Adieu l’Australie. L’enquête est confiée au capitaine Bonnier de la 3e DPJ (Direction de la Police judiciaire). Qui remarque deux détails. Le gars a une oreille coupée, et porte deux tatouages. Un serpent, la face tournée vers un aigle à deux têtes enserrant un cœur. De quoi intéresser Rhino, le colonel Michel Granier-Rinocci.

Eric Emeraux ne perd pas de temps. Premiers chapitres ultra nerveux, présentation carrée des protagonistes, surtout celle des méchants. La Veuve nous fait saliver. Les flash-backs à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, nous aident à comprendre la dynamique romanesque et historique de l’ouvrage. Comment s’organise la traque des criminels de guerre ? Le temps très long de la chasse, la faculté de ces criminels à renaître, à rebondir et à se vendre au plus offrant. Sans oublier que derrière ces hommes sans foi ni loi, d’autres en revanche, animés de principes moraux, ne cessent de se battre pour que justice soit rendue.

En 2012, il débarque à Sarajevo, la ville olympique. Il y passe cinq ans. Il adore. Mais il découvre que les militaires présents au moment de la guerre en 1992 ne sont pas sortis indemnes de leur mission. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il accumule du matériel pour un roman qu’il mettra deux ans à écrire. Plus tard, bien plus tard. L’exfiltration et la crucifixion sont réelles. Je me suis aussi appuyé sur un journal de marche qu’un ami m’a envoyé et je l’ai romancé. Tout ce qui se passe dans les montagnes, je l’ai vécu. J’ai été entraîné pour le paravent et les caches dans le sol. » Cela donne des scènes très proches de la réalité. Comme celle de l’infiltration périlleuse en parapente le 14 février 1995 d’une ferme dans la région de Trnovo où devait se tenir une réunion secrète entre des Serbes et des Bosniaques. Une mission de renseignement couvert, comme ils disent. Autrement dit, en s’enterrant dans le sol. L’idée est de prendre des photos afin de prouver que les belligérants discutent dans le dos de la communauté internationale. Une façon de les pousser à la table des négociations. Drôle de réunion. En réalité, un viol, une tournante entre soldats que l’auteur qualifié de « humanimaux ». Et une jeune femme qui meurt sous les coups et l’objectif de Rhino. Un homme se dégage. L’assassin. « Tout est vrai, poursuit Éric Emeraux. Le capitaine André Arnoux a vécu dans sa chair tout ce que je raconte. »

Miroslav Marjanovic incarne le passé lointain et douloureux de Rhino. Il n’a rien oublié de cette époque de 1994, alors qu’il était en mission de renseignement au sein des commandos de montagne.  Celui qui gît sur ce lit d’hôpital s’appelait Le Srbosjek, le « coupeur de Serbes » et appartenait au groupe paramilitaire « les serpents ». Recherché par les Bosniens pour avoir commis les pires exactions pendant la guerre. Son chef de la milice était Vuk, Mirko Nicolić, « le loup ». Le gars serait mort au Monténégro. Mais Vuk est comme Jésus et le paon est un symbole de résurrection chrétien. Marjanović possède une vidéo. Son ticket de sortie, s’imagine-t-il. Il n’est pas prêt d’en profiter. C’est donc cette même crapule de Vuk que Rhino retrouve des années plus tard. Ce professeur de philosophie de Sarajevo. Un gars qui a très mal tourné. Serbe mais en réalité musulman et qui a toujours misé sur la folie des hommes pour s’enrichir, planqué derrière un habillage intellectuel nationaliste. Du vent, juste du vent pour un salopard. Que Rhino s’apprête à mettre hors d’état de nuire, une bonne fois pour toute. Il s’interroge tout de même : mais comment s’en est-il sorti ? La réponse lui sera donnée plus tard par un vieil ami de terrain. L’affaire des militaires français pris en otage en 1995, ça lui rappelle quelque chose à Rhino ? Les millions de francs pour leur libération. Le monde du renseignement est une zone de non-droit légale. Rhino est un naïf. Il a oublié ses leçons d’histoire. Le marché d’êtres humains à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. Combien de scientifiques et autres nazis ont sauvé leur peau en passant soit chez les Américains, soit chez les Soviétiques pour éviter de comparaître devant la justice allemande.

Serbe et Russe, main dans la main. Vuk est désormais au service de Poutine et de sa grande Russie. Pour le chef du Kremlin, tout est bon à prendre pour déstabiliser les démocraties occidentales. Comme de fricoter avec l’extrême-droite française. Vuk tisse des liens avec le général Yves Vogüe- Duval, un Breton pure souche, alias « Rose des vents » et le général Lamy qui se planque à Kaliningrad, en Russie et se fait appeler C2. Convaincu d’être supplanté par les étrangers, le militaire a vrillé et mène une sorte de guerre secrète basée sur le chaos. Et de ce « chaos jailliront les conditions de l’ordre nouveau. » Il est à la tête d’une organisation baptisée Stay in Front sur le modèle de Stay behind de l’OTAN. Selon lui, « la réponse du berger à la bergère ». Dans cette lutte à mort, la mission de Rhino se corse avec le voyage de son fils dans la capitale bosniaque. David communique mal avec son géniteur. Et pour cause.

Les derniers chapitres sont plus ancrés dans la fiction pure. Rhino et Vuk ont quelque chose en commun. Une femme, Samra, interprète. Une espionne aussi peut-être. L’un l’a aimée, l’autre l’a violée. Des jumeaux sont nés. David et Dragan ou Xavier. Un innocent et un pourri. Mais qui a élevé qui ? Le Mal est une hydre. Éric Emeraux en sait quelque chose. Après des années à traquer les vrais criminels, il utilise la fiction un peu comme du soft power. « Éveiller la conscience des plus jeunes, dit-il, sincèrement inquiet, parce qu’il existe une sorte de déni, on n’a pas envie de regarder la partie la plus noire de l’âme. Alors qu’il le faut avant qu’il ne soit trop tard. » Un thriller qui réclame une suite. L’auteur est déjà parti en chasse. Une avocate sera son bras armé. Celui de la justice et des Droits de l’Homme. Les yeux tournés vers le ciel.

« Quand l’Abîme te regarde » d’Éric Emeraux, Éditions Récamier/Noir, 638 pages, 23 euros.

 

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