« Toi tu es retors. Tu ne vois peut-être pas très loin, mais il y a un truc qui te donne l’avantage sur les autres. Tout le monde te prend pour quelqu’un que tu n’es pas. Quoi que tu racontes, les gens te croient sans hésiter ». Un jugement sans appel qui ne suscite aucun commentaire chez Adam. Et qui se dit même après quelques instants de réflexion, que l’autre n’a pas forcément tort.
« Seul l’horizon » de Matt Riordan est un premier roman qui dépote sévère. L’auteur s’est inspiré de sa propre histoire – il a embarqué sur des bateaux de pêche commerciale en Alaska avant d’atterrir en fac de droit – pour ficeler un récit aussi noir que les profondeurs de l’océan. On suit Adam, jeune con sublime qui a un gros et urgent besoin d’argent afin de payer ses frais de scolarité, et dont la conscience est aussi gélatineuse qu’un banc de méduses.
On est dans le transfuge des classes à l’américaine. Adam, c’est le petit gars joueur de crosse suffisamment doué pour avoir décroché une bourse à l’université de Denby sur la Côte est américaine et qui a tout foutu en l’air en vendant de la dope sur le campus, au lieu de travailler à la cafétéria ou faire la plonge. Et par la suite, elle l’a dénoncé. S’il a évité la tôle en plaidant coupable de détention de stupéfiants, il a perdu sa bourse. Il a donc trois mois pour réunir vingt-six mille dollars. Aller choper du hareng sur un bateau de pêche dans la mer de Béring est le seul moyen qu’il a trouvé pour gagner ce pognon en un laps de temps aussi court. Il n’y a aucun pathos chez le gamin qui sait qu’il a déconné et qui accepte la sentence.
Alors le voilà sur ce rafiot avec deux bougres rugueux mais pas méchants, Nash et Cole. S’ils n’ont pas l’intention de lui faire de cadeau, ils n’ont pas non plus pour but dans la vie de l’entuber jusqu’à la moelle. Ce qui n’est pas le cas de Kaid, le patron d’une flottille en mauvais état. Le monde de la pêche n’est pas fait pour les âmes sensibles. L’initiation d’Adam est musclée. Et il n’est qu’au début de son aventure tragique.
Parce que le big boss est redoutable. Personne ne l’aime. Tout le monde le craint. Ils ont raison, Kaid est sans scrupules. Une grève se prépare dans le secteur. Il s’en fout. Au contraire, pendant que les autres resteront à quai, lui entend bien se gaver au maximum. Quitte à dépasser cette fameuse ligne Nord, au-delà de laquelle tu tombes dans le braconnage. C’est le spot de toutes les tentations. Celui où les poissons arrivent par paquet. « On ne va pas là-bas pour se faire des copains », dit Cole à Adam. Ce sera saumon et hareng en pagaille, rien que pour eux. L’argent est l’étoile Polaire d’Adam et de Kaid. Le duel est inévitable. Kaid pense tenir la main. Il avait portant bien cerné le gamin. « Seul l’Horizon » est un roman initiatique ultra tendu où les filets ressemblent à des fils barbelés contre lesquels les poissons s’explosent. Comme les pêcheurs. Parfois.
« Seul l’Horizon » de Matt Riordan, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Guillaume, Éditions Paulsen, 336 pages, 22 euros.