Il s’en passe des choses chez le voisin belge. Nous sommes en 1965. La scène politique est en ébullition. Un homme se tient sur les hauteurs de la Butte du Lion de Waterloo. Il sent le vent sur ses joues. Il y a bien longtemps, il s’était battu dans le coin, avait poussé jusqu’à Gembloux, dans la direction de Namur, avant de rebrousser chemin vers la mer du Nord et de Dunkerque. Il avait écrit sur cet épisode calamiteux. Il a décidé de reprendre son texte. Il descend de la butte et perçoit un autre souffle sur son visage. Il sait. On vient de lui tirer dessus, lui, Louis Aragon.
De là, le romancier François Weerts nous embarque dans une sacrée aventure. Pourquoi diable a-t-on tiré sur l’écrivain français ? Viktor Rousseau, personnage au profil traversé de contradictions, adorateur de la Série noire, est chargé par l’homme à tout faire du parti communiste belge, Smalle Piet, de trouver la réponse à cet acte, de prime abord, incompréhensible, voire insensé. Le journaliste belge est un érudit, on peut compter sur lui pour nous aider à y voir clair. D’autant qu’un drôle de tract circule sous le manteau. « Staline et son NKVD ont assassiné Paul Nizan ! Aragon est leur complice ! Feu sur le cuistre poète coco ! Une balle pour l’historien bolcho ! » Cela vaut bien un verre de vodka bien frappée. Même si Viktor est déçu parce qu’elle n’est pas soviétique mais finlandaise. Où va se nicher le militantisme !
Néanmoins, Viktor est un drôle de militant. Forcé de rendre sa carte du Parti, il est devenu « une sorte d’arrangeur de l’ombre, le type à qui l’on confiait les dossiers délicats dont l’organisation devait tout ignorer ». Un type qui ne croyait plus, selon ses propres dires, « à la Sainte Trinité, Marx, Engels et Lénine ». Mais émargeait quand même pour ses représentants encore actifs. Un autre commanditaire, lui aussi amateur inconditionnel de la Série noire, va faire appel à Viktor. Jean d’Arteveld, le secrétaire perpétuel de l’Académie des lettres belges. Ce qui l’intéresse, c’est le poète français, Paul Nizan, mort dans le nord de la France en 1940, et qui aurait écrit un manuscrit égaré. Fumisterie, pense tout de suite Viktor. Pas si sûr répond d’Arteval. Il a reçu une lettre d’un certain Pierre Quincampoix qui affirme détenir le précieux manuscrit et surtout la preuve que « Nizan a été abattu par un commando du NKVD, le KGB de l’époque ». Et, cerise sur le gâteau, que Aragon a couvert l’assassinat. Ce Quincampoix s’apprête d’ailleurs à publier un livre sur le sujet. Hautement inflammable cette histoire dans le milieu de la littérature franco-belge. Il demande à Rousseau de mettre la main sur cet énergumène. Deux boulots en un pour Viktor.
L’affaire est ténébreuse. Le Viktor à plusieurs facettes nage en eaux troubles. Il se détend aussi souvent avec sa maîtresse Marie-Claire, une bourgeoise déjantée. Il y a aussi le Hérisson, un agent de la Sûreté de l’État qui ne le lâche pas d’une semelle. Pas plus que Roland Lemasson, inspecteur de police, qui apprend donc que Viktor fut un agent de liaison pendant la guerre. En quelque sorte. Le roman de François Weerts est savoureux. Sur fond de littérature, on navigue dans les méandres du bolchévisme et du léninisme. Aragon, Nizan, un duel à mort. La littérature sauve – t- elle l’âme des grands hommes ? Pas sûr, à en croire François Weerts.
« On a tiré sur Aragon » de François Weerts, Éditions du Rouergue, 448 pages, 23 euros.