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« Au bon vieux temps de Dieu » : Sebastian Barry au firmament

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L’homme est tout en longueur. Un géant irlandais vêtu de noir, concentré et déjà ailleurs. Sebastien Barry est un poète en fuite. Rattrapé de justesse par son éditrice française de toujours, Joëlle Losfeld qui publie son dernier roman, Au bon vieux temps de Dieu. Une ode au temps long, au temps qui passe mais qui n’absout pas les péchés. Envoûtant.

Il y eut un drame. Non, plusieurs drames. Une femme, la sienne, June, une fille, Winnie et un fils, Joseph. Tous ont disparu. Prématurément. Des enfants ne devraient jamais mourir avant leurs parents. Ce n’est tout simplement pas dans l’ordre des choses. Mais Dieu, s’il existe, a ses propres desseins. C’est du moins ce que Tom Kettle, inspecteur fraîchement retraité, se dit, au fond bon joueur ou tout simplement peu vindicatif. Il ressemble à certains héros du réalisateur américain Clint Eastwood, et semble mener une relation complexe avec l’au-delà. Mais en Irlande, on ne badine pas avec le Seigneur et ses représentants sur terre. Ces  » putains de prêtres », comme les appelle Tom dans un moment d’effroi lorsque deux inspecteurs, Wilson et O’Casey, frappent à sa porte pour lui demander de l’aide sur un « cold case », un vieux dossier, suivi il y a longtemps quand il était encore lui-même inspecteur. Et Tom le sait mieux que quiconque lui qui en fut,  « La police était comme la mer, pleine du sel de danger ». Il sort trois tasses, la théière. Eux sont venus avec des dossiers. « La paperasse, la pénitence des policiers ». Il s’en souvient comme si c’était hier. Aujourd’hui, c’est son chemin de croix.

Parce qu’il y eut aussi Le Drame. Celui que ces jeunes inspecteurs apportent avec eux. Inconscients de ce qu’ils s’apprêtent à mettre en mouvement. Une vraie tempête. « Je vais vous faire un toast au fromage, annonce Tom, sans enthousiasme. » Il lui faut gagner du temps, il ne veut pas se souvenir, il ne veut pas revenir en arrière. Ce cold case, ce prêtre assassiné. L’énigme du roman se niche dans ces quelques minutes d’une politesse d’un autre temps. On vient solliciter l’ancien et sa mémoire, on vient foutre le bazar. Le romancier Sebastian Barry concède qu’il a mis du temps à imaginer et habiller ce personnage.  » Nous avançons chacun à notre rythme, confie-t-il, justement un peu pressé (un taxi doit le conduire à l’aéroport pour ensuite s’envoler en Irlande). Il y a longtemps, j’ai vu un homme assis qui regardait la mer d’une façon que j’ai trouvée mystérieuse. Mais je ne lui ai jamais parlé. C’est un livre que j’ai mis des années à oser écrire et à 67 ans, je me suis autorisé à imaginer cette histoire. »

Il y eut un policier dans la famille du romancier. Son arrière – arrière grand-père. « Il a été enterré quelque part mais sa famille n’a jamais su où.  » Une énigme familiale que Sebastian Barry  transforme et inscrit dans un contexte historique précis. L’église et l’Irlande, un tord boyau, une infamie, la lettre écarlate inscrite à jamais dans les landes. « Des prédateurs, selon Wilson. L’auteur saute le gué, fragile et tenace. Il sait où il veut nous emmener mais il nous faut respecter son rythme. Lent et vivant. « Je suis un fan de la lenteur. On implique davantage le lecteur.  » Se perdre dans la contemplation quotidienne des éléments était le but ultime pour Tom Kettle. La venue des deux inspecteurs a tout fait tomber par terre. Mais elle lui ouvre les portes d’une rédemption qu’il n’attendait plus. Le temps suspendu de Sebastian Barry ressemble au brouillard irlandais. Tour à tout opaque et lumineux. En réalité, c’est l’éditrice Joëlle Losfeld qui en parle le mieux. Dans une lettre adressée aux journalistes et pour présenter ce roman, elle écrit : « La langue de Barry est enveloppante, extrêmement précise et d’un grand pouvoir d’évocation ». Sebastian Barry est l’un des quatre auteurs majeurs irlandais à avoir été finaliste du prestigieux Booker Prize. C’est encore le cas cette année. Verdict le 26 novembre prochain.

Au bon vieux temps de Dieu, par Sebastian Barry, traduction de Laëtitia Devaux, 252 pages, 22 euros.

 » Okavango  » : Caryl Ferey en alerte absolue

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Caryl Ferey et les chiffres. Plus de vingt-cinq ans de présence dans le domaine du roman policier. Plus d’un million de lecteurs.  300 000 exemplaires pour Zulu. Caryl Ferey et le talent. Constant, précis et comme le bon vin, meilleur en vieillissant. Okavango confirme. C’est le polar incontournable de cette pré-rentrée. D’ailleurs, il figure déjà dans la liste des meilleures ventes.

L’exotisme de la Namibie. La violence de l’Afrique du Sud pays voisin. Racisme, flics corrompus et personnages rôtis au soleil meurtrier de cette partie de la planète. On n’oublie pas l’amour. Brut, compliqué, contrarié et irrésistible. Caryl Ferey maîtrise les éléments narratifs pour mieux les dépasser. Alors, voilà ce que cela donne. Une transaction de dix mille dollars namibiens – environ – 600 euros – entre celui qu’on appelle le Baas et Isra le pisteur de rhinocéros. Son boulot : un simple repérage de nuit dans la réserve de Wild Bunch, moyennant dix jolies petites chèvres. Un pactole, le début de la richesse. On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Pas faux mais c’est justement ce qui inquiète Isra. Il pense aux hommes- lions. Aux mille façons d’échapper à la mort. Il ne comprend pas, il appartient aux Ovambos (les bonnes personnes). Personne ne leur veut du mal.

Mais il existe d’autres hommes avec d’autres plans. Leur plat de résistance : le pétrole, le cobalt ou encore l’uranium. Ou mieux encore ces derniers temps : « l’or à sang chaud », le braconnage. Et l’Afrique australe n’est pas épargnée par ce trafic grâce à d’anciens officiers de l’armée sud-africaine qui ont monté des sociétés de sécurité servant en réalité de paravents à des compagnies de mercenaires. Dans le lot, il y en a qui a tout compris. Rainer Du Plessis, un sale type qui capture les animaux sauvages. Son palmarès est particulier. Il se vante d’avoir dézingué l’intégralité des trois cents rhinos recensés dans le parc Limpopo au Mozambique en 2013. Ce qui lui vaut depuis le gentil surnom de « Scorpion ». Il répond ainsi aux désirs de clients richissimes qui paient des fortunes pour du bouillon aux dés de peau d’éléphants ou encore des cornes de rhinocéros. Et notamment le  Longue-Corne. Celui qui attise toutes les convoitises et qui se trouve dans la réserve de Wild Bunch. Les méchants se mettent à table.

Du côté des gentils, on a N/Kon de la tribu des San et John Latham qui veillent sur une étendue de quatre-vingt-dix-mille-hectares qui sert de sanctuaire animalier fréquenté par des touristes triés sur le volet. Mais depuis quelques temps rien ne va plus. Ils retrouvent des cadavres d’animaux et surtout celui d’un jeune homme, un Khoï, peuple cousin des San. En bord de piste, le corps bouffé par les fourmis sous les yeux effarés des touristes. Braconnage et scène de crime, du grain à moudre pour les Rangers qui sont aussi du bon côté de la barrière. Avec la lieutenante Solanah Betwase et son colonel de mari, Betwase. Tout ce petit monde qui ne s’apprécie guère alors qu’il tend vers le même objectif, va se retrouver obligé à collaborer. L’attraction des contraires. John Latham et la Ranger Solanah, du miel pour Hollywood.

Ce sont des personnages aux dimensions puissantes dans un décor spectaculaire. Titre de ce roman d’Out of Africa, l’Okavango est un fleuve qui traverse la Namibie et le Botswana avant de terminer sa course dans le désert du Kalahari. On plonge au cœur du royaume des bêtes sauvages, on parcourt leur territoire. Caryl Ferey  a choisi son camp. Son livre est un conte pour adultes dans un décor qui fait toujours rêver les tout-petits. Le roi lion, la girafe ou les antilopes. Tous menacés par la cupidité des hommes tombés dans un puits d’insatisfaction stratosphérique. A mille lieux de la sagesse des San.

 » Okavango «  de Caryl Ferey, Éditions Série Noire Gallimard, 527 pages, 21 euros.