« Les Injusticiers » de François Forestier ou comment communisme et capitalisme ont convergé dans les années 50

Lire un roman de François Forestier, c’est avoir toutes les chances de se promener en visiteur privilégié dans les coulisses d’Hollywood. C’est pouvoir rencontrer les héros et découvrir les lâches. Les faux et les vrais. Cette fois encore, il a braqué ses projecteurs sur la Mecque de la bobine en Californie. Nous sommes dans les années 50. La paranoïa envers les communistes est à son comble. Le Sénateur Joseph McCarthy est à la manœuvre, assisté dans cette chasse aux sorcières, de son complice J. Parnell Thomas, procureur de la fameuse Liste Noire des dix. Dix noms livrés en pâture à une justice devenue folle et partiale. Mais cette fois, le journaliste/écrivain a tenu à dresser un parallèle entre deux systèmes judicaires. « Les Injusticiers » décrit ainsi « deux canailles » aux manettes d’une justice en théorie aux antipodes : J. Parnell Thomas et Andreï Vychinski, procureur général des procès de Moscou, en ex-Union soviétique. Avec François Forestier, ils auraient pu être frères.

L’avertissement de l’auteur est étourdissant. Il nous prévient que le livre est né d’une obsession. Et de rencontres. Et pas n’importe lesquelles. Des survivants de cette purge hollywoodienne. Joseph Losey, John Berry, Sterling Hayden, Ring Lardner Jr, pour ne citer qu’eux. Les cinéphiles apprécieront. Le scénariste américain et de confession juive, Dalton Trumbo, avait surnommé cette période « l’ère du crapaud ».  Il se trouve, comme l’explique François Forestier, que les deux procureurs se sont bien croisés un jour. Si l’un est mû par la peur, l’autre réagit à la haine. Leur point commun : le pouvoir de condamner. Autrement dit, le pouvoir de vie ou de mort.

La tâche fut plus aisée pour Vychinski. Il a fait exécuter ou a envoyé au goulag (souvent la même chose) des hommes par centaines. Sans avoir à se justifier. Il suscite l’intérêt, voire l’admiration, de J. Parnell Thomas entravé, lui, par quelques lois fondamentales inscrites dans la Constitution américaine, la Bible après la Bible de ce côté de l’Atlantique. Il ne peut condamner à tour de bras comme son lointain confrère mais les purges orchestrées par le Russe lui donnent des idées. Alors, J. Parnell Thomas dresse des listes, La Liste. C’est un Républicain du New Jersey, ultra-conservateur et secondé par un certain… Richard Nixon. Dans son viseur, ceux qu’il désigne comme les « inamicaux ».  Dalton Trumbo est number one. Parmi les « amicaux », il y a le président des acteurs, un informateur du FBI, Ronald Reagan. Au début de ce processus mortifère, les vedettes incriminées ne s’inquiètent pas trop. Nous sommes en Amérique, que diable. Rien ne peut se produire comme là-bas, chez les Soviets. Ici, on est en démocratie, il y a des lois. Mais la trahison est universelle. Des stars du système balancent les sympathisants coco. Le réalisateur Elia Kazan, l’acteur Robert Taylor et sa tête de gendre parfait…

Traîtrise et lâcheté vont de pair. Et si mourir terrorise en Occident, le danger en Russie vient de la vie. Vychinski, le survivant, en sait quelque chose, lui qui a survécu à toutes les purges, celles d’avant et l’après Staline. Pourtant, en ce début de journée et fin de vie (71 ans), il est inquiet. Parce qu’au fond, la peur telle une seconde peau ne quitte jamais les Soviétiques. Il se trouve au pays de l’ennemi, à New-York. Un poste qui sent la récompense pour services rendus. Il sollicite une tasse de thé auprès de sa secrétaire Valentina. « Peut-être y a-t-il un moyen de changer de vie, se demande-t-il. Il y songe. Le cavalier noir, en g7, attend. Il est temps de le bouger ». Tout est glaçant dans ce roman parce que dans cette galaxie de portraits connus et moins connus, l’auteur dresse un constat impitoyable. En Union-Soviétique, il n’y avait à cette époque aucun innocent. Mais quid du système judiciaire américain ? On aurait dû se méfier. Des gens ont tordu les lois et fabriqué des accusés. Qu’est-ce qui a changé ?

« Les Injusticiers » par François Forestier, Éditions Grasset, 256 pages, 20.90 euros.   

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.